Une valeur préservée mais des situations très hétérogènes
Champagne. Chaque année, FDSEA Conseil, en partenariat avec AS Entreprises et le Comité Champagne, propose un bilan post-vendange 2024 et des perspectives économiques sur la filière Champagne. L’occasion notamment de revenir sur les raisons d’une vendange complexe mais aussi de ses conséquences sur les revenus des vignerons.
Une vendange compliquée à maîtriser, constamment sur le fil, des rendements à la baisse, mais un exercice qui s’avère globalement réussi au regard de la qualité des raisins récoltés. Voici comment pourrait être résumée la vendange 2024 en Champagne, qui s’est surtout distinguée par une grande hétérogénéité. En raison d’une campagne viticole aux précipitations incessantes et par conséquent peu ensoleillée (avec malgré tout des températures proches de la normale), l’année s’est montrée « extrêmement challengeante pour les viticulteurs », souligne Héloïse Mahé, Responsable de service Qualité raisin & vin au Comité Champagne qui, quelques jours après la fin de la vendange dresse un premier bilan d’ensemble de la campagne.
En 2024, les Champenois ont dû composer avec de nombreux aléas. Le gel de printemps est ainsi apparu très tôt et a touché 9,2% des parcelles, contre 8,3% en moyenne décennale. Une moyenne indicative mais non significative tant les disparités sont nombreuses sur l’appellation. On note par exemple des parcelles touchées à 45% autour de Bar-sur-Aube et à 30% dans le Barséquanais. « On soupçonne que ces températures froides, qui ont frôlé le zéro sur une grande partie du vignoble, ont eu des conséquences sur l’expression végétative avec un filage important, donc une perte de nombre de grappes à ce moment là ».
des rendements en baisse...
La grêle s’est elle aussi invitée, touchant 1,7% de l’appellation (contre 0,8% en moyenne décennale) sur 1 299 hectares, soit l’équivalent de 589 hectares impactés à 100%. Les années se suivant mais ne se ressemblant décidément pas, la floraison a été « interminable » cette année, s’étalant sur trois semaines quand elle avait duré trois jours en 2023. « Nous avons eu des baies qui s’étaient formées parfois avec une semaine ou dix jours de différence sur une même grappe », indique Héloïse Mahé. Des sols très humides, un jaunissement marqué, un mildiou omniprésent « avec une pression extrême en Côte des Bar » et un échaudage qui, si son ampleur est difficilement quantifiable, a causé des pertes « non négligeables » sur les Pinot Noir et les Meunier. Autant d’aléas qui ont rendu difficiles les estimations de rendement et qui ont causé des dégâts dans les vignes, réduisant les perspectives de rendement à mesure que la vendange approchait.
Au niveau des grappes, là aussi les experts du Comité Champagne ont noté une très grande hétérogénéité rendant difficile la réalisation d’une moyenne significative. à titre d’exemple, le 7 septembre, quand la moyenne des grappes était de 86 grammes dans l’Aube pour les Pinot Noir, elle était de 131 grammes dans la Marne. Effet assez inattendu rencontré cette année : « On a retrouvé les durées de cycle végétatif qu’on avait il y a 20 ans », observe la Responsable de service Qualité raisin & vin, qui a enregistré 87 jours en moyenne entre la fleur et la vigne (95 jours pour les Chardonnay).
... mais une qualité prometteuse
Dans ces conditions, l’un des enjeux de la vendange était donc de gérer les altérations et donc, de faire des compromis entre l’état sanitaire et l’évolution de la maturation des aires, la gestion de l’hétérogénéité et le suivi des degrés. Résultat : trois semaines de vendanges contrastées, avec un démarrage atone sous la pluie, une deuxième semaine ensoleillée qui a favorisé la maturation et préservé l’état sanitaire (avec des rendements plus faibles que les estimations de l’ordre de -15% à -20%) et une troisième semaine pluvieuse qui a bloqué l’évolution finale espérée des degrés mais qui n’a malgré tout pas entraîné d’explosion sanitaire.
Pas évident dans les conditions évoquées ci-dessus de tirer un enseignement global de cette vendange 2024. « 2024 c’est un très beau potentiel quand on a réussi à le préserver, des rendements très hétérogènes et plus faibles qu’attendus en début d’été. Au niveau des futurs vins, on note une acidité élevée par rapport au degré potentiel, avec des équilibres intéressants On a noté que l’équilibre aromatique avait été atteint avec des degrés plus faibles qu’estimés au départ. C’est le signe que malgré la pluie et d’éventuelles dilutions, les indicateurs de concentration ont ralenti voire régressé mais pour autant la maturité physiologique a continué de progresser. à la dégustation, on n’enregistre pas de marqueurs de sous-maturité, d’arômes végétaux ou d’acidité excessivement mordante ».
Une valeur préservée
Impossible, en Champagne, de décorréler l’analyse des marchés commerciaux de celle des rendements agronomiques. Pour effectuer des projections économiques, il est indispensable d’avoir une vue d’ensemble de la chaîne de valeur, du rang de vigne au quai d’expédition. Une approche proposée par Olivier Josselin, Responsable filières et références FDSEA Conseil qui s’appuie sur les chiffres des expéditions, qui enregistrent une baisse de 8% en volumes sur 12 mois glissants. Une réalité commerciale à intégrer dans les ressources financières des viticulteurs, dont les parts de marché se réduisent peu à peu, à l’image du marché français où ils sont le plus présents mais qui recule chaque année au profit de l’export.
Les experts de FDSEA conseil s’appuient à la fois sur les données de marché du Comité Champagne et sur celles collectées via leur réseau pour établir des scénarii de calcul de la valeur, selon le profil du vigneron (vendeur au kg ou vendeur de bouteilles) et du rendement de la vendange. « Sur les 16 200 vignerons qui travaillent sur le territoire, 22 % d’entre eux vendent des bouteilles. Soit à peu près 3500 vignerons qui vendent au moins une partie de leur production en bouteille », explique Olivier Josselin dont les équipes ont bâti un scénario de rendement à 6 000 kg/ha, un scénario à 8 000 kg/ha et un scénario à 10 000 kg/ha. Chacun des scénarii incluant le recours éventuel au déblocage de la RI (Réserve Individuelle) de 2 000 kg (pour un rendement de 8 000kg/ha) ou 4 000 kg (pour un rendement de 6 000kg/ha). « Compte tenu des récoltes passées, on suppose que la majorité des vignerons ont pu constituer une réserve individuelle qui permettait de faire face cette année à une perte de rendement ».
Après avoir intégré les évolutions des coûts de fertilisation (- 30 % par rapport à la récolte 2022), protection des cultures (+12 %), fournitures (+ 9 %), carburants (-12 %), prestations et coûts du matériel (+5 %), frais du foncier (+ 5 %), les frais généraux (+3%) et raisin (+1 %), les experts de FDSEA Conseil estiment que pour les viticulteurs producteurs de raisin, pour un chiffre d’affaires estimé à 82 000 €/ha, le résultat net pourra varier de 10 000 €/ha (pour un rendement à 6 000 kg avec déblocage) à 25 000 €/ha (pour un rendement à 10 000kg sans déblocage). « Les ressources financières devraient être maintenues dans ces hypothèses là, hormis pour les cas particulier », souligne-t-il.
L’aube et le bio les plus impactés
Pour les vendeurs de bouteilles, FDSEA Conseil s’est basé sur les mêmes scénarii que précédemment, en intégrant la baisse de volume des ventes observées sur le marché de l’ordre de - 8%. « Pour ces exploitations, les résultats se situeraient entre 28 000 et 35 000 euros par hectare, avec des écarts pouvant être très importants entre les exploitations. Pour les exploitations situées dans le scénario à 3 000 kg/ha, il y aura sans doute une difficulté à équilibrer les comptes, surtout dans les régions on n’avait pas pu constituer de la RI ».
Les experts ont également défini le coût de revient du kg de raisin, à produire. Celui-ci se situe autour de 5,17 € en 2023. En incluant toutes les charges et dépenses, les matières diverses mais aussi la rémunération du travail, pour la vendange 2023 une bouteille de champagne coûte donc 12,44 € à produire.
« Sur la Marne, les résultats devraient être assez préservés en termes de rentabilité », souligne Olivier Josselin, qui ajoute « Au cas par cas, dans les zones où l’appellation n’est pas forcément élevée il va falloir quand même faire face à des situations plus compliquées ». C’est le cas dans l’Aube notamment où certaines parcelles n’ont tout simplement pas été vendangées faute de rendement suffisant ou chez des viticulteurs bio qui ont souvent enregistré des rendements inférieurs de 50 % à ceux de la viticulture conventionnelle.