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La surtaxe des Etats-Unis pourrait bien marquer une pause de l’inflation des prix du champagne

Champagne. Dans les dix dernières années, la valeur des exportations de champagne a progressé de 62%, avec une accélération remarquable de 33% dans les trois dernières années. Cette hausse est principalement portée par l’inflation des prix. Durant les 8 premiers mois de 2025, les prix se sont repliés à l’exportation, de 8% aux Etats-Unis et de 3% dans les autres pays tiers.

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Photo de Champ viticole
Historiquement, le champagne est le produit qui a connu la progression la plus significative en valeur, avec des exportations (2,4 Md€ en 2014 et 3,9 Md€ en 2024) en hausse de 62%. (Crédits : BB)

Dans sa dernière publication, fin septembre 2025, le service des Douanes et Impôts indirects aborde la thématique des forces et faiblesses des exportations de vins et spiritueux français dans le Monde et notamment la forte exposition du Champagne aux Etats-Unis. En 2024, ces exportations ont rapporté 16,5 Md€ à la France, soit 85% de la valeur totale des boissons acheminées dans le Monde et principalement aux Etats-Unis, en Chine, à Singapour ou au Royaume-Uni. Les prix à l’exportation ont fortement augmenté entre 2021 et 2023. C’est surtout le cas du Champagne et du Cognac et également des vins de Bourgogne et de Bordeaux, avec une marge substantielle pour les entreprises exportatrices. L’année 2024 a révélé des signes de ralentissement de ces augmentations de prix.

Les exportations de vins et spiritueux français ont connu un pic en 2022 (18,2 Md€) et des baisses en 2023 et 2024. Les Douanes notent la forte dépendance en la matière vis-à-vis des Etats-Unis, lesquels pèsent en moyenne 25% de ces achats. Le Champagne, compte tenu de son poids dans l’ensemble des vins mousseux (88% en valeur), est particulièrement exposé : 20% de ses exportations vers les Etats-Unis 13% au Royaume-Uni, 8% à Singapour et 1% pour l’ensemble Chine et Hong-Kong.

Un prix moyen à l’export en hausse de 63% en dix ans

Historiquement, le champagne est le produit qui a connu la progression la plus significative en valeur, avec des exportations (2,4 Md€ en 2014 et 3,9 Md€ en 2024) en hausse de 62%. Les Douanes notent : « Il s’agit d’une augmentation uniquement due aux prix ». À l’appui de cette affirmation, il faut considérer que si le prix moyen d’une bouteille de champagne est le résultat d’un chiffre d’affaires divisé par un volume amalgamant différents types de champagne (brut, millésime, rosé, cuvée spéciale …), la dominante est à plus de 80% composée de Champagne brut. L’évolution du prix moyen de la bouteille est donc, au moins à 80%, due à une augmentation des prix. C’est ce que les Douanes traduisent en litre : le prix moyen du champagne à l’exportation est passé, dans les dix dernières années, de 19,8 à 32,2 €. Cette progression (+62%) s’est accélérée de 33% entre 2019 et 2023.

Le début de l’année 2025 marque un repli des prix aux Etats-Unis, le litre passant de 25€ au quatrième trimestre 2024 à 23€ au premier trimestre 2025. Si le recul n’est que de 8% en début d’année, le bilan 2025 dira l’ampleur de ce repli, loin de l’augmentation conséquente de 40% au cumul des années 2022 et 2023, relatée par le Directeur de la filière Champagne du Crédit Agricole Nord-Est et reprise par le média Terre des Vins. Pour David Menival : « En 2022 et 2023, les Champenois ont augmenté en moyenne leurs prix de 20% sur le B to B. Les intermédiaires ont rajouté 20%. Au final, le consommateur a été confronté à une hausse de 40% sur cette période ».

Les Etats-Unis pèsent 14% du marché mondial du champagne

Dans les six dernières années, le chiffre d’affaires mondial cumulé du champagne, avec des hauts (6 412 M€ en 2023) et des bas (4 209 M€ en 2020) est de 33 557 M€. Le chiffre d’affaires réalisé dans le même temps avec les Etats-Unis, premier marché à l’exportation depuis 2021, est de 4 536 M€, soit près de 14% du total. La destination américaine est à forte valorisation. Si l’on excepte l’année 2020 (+31%), le prix moyen de la bouteille de champagne vers les Etats-Unis est de 40% supérieur à la moyenne mondiale. Pour l’année 2019 l’écart est de 52% (25,9 euros vers les Etats-Unis et 17 euros vers le monde entier). Pour autant, toujours dans les cinq dernières années, l’augmentation du prix moyen de la bouteille a été plus forte en moyenne mondiale (+27%) qu’en moyenne américaine (+16%). Dans le même temps, cette augmentation a été de 24,5% à l’exportation et de 26% en France.

Dans un pays premier consommateur mondial de vins, le marché américain devient un point sensible pour l’avenir du champagne. La surtaxe américaine de 15% sur les importations de vins et spiritueux depuis le mois d’Août dernier s’inscrit sur fond d’augmentation forte du prix du champagne et de dévaluation du dollar, facteur de surenchérissement des produits importés. Un euro vaut aujourd’hui 85 centimes de dollar. Dans ces conditions, compte tenu d’une chute de 11% de la valeur de la monnaie au premier semestre 2025, les exportations américaines sont moins chères et les importations plus chères, d’où les importations de précaution des opérateurs américains au premier semestre 2025. Un champagne devenu trop cher, une belle opportunité d’expansion pour les producteurs locaux de sparkling wines et notamment du côté de la Californie, berceau américain des marques champenoises installées depuis les années 70 (Moët & Chandon, Roederer, Taittinger, Mumm, Piper Heidsieck).

Cette surtaxe américaine s’installe dans un contexte fluctuant des expéditions de champagne. Depuis 2014, le marché mondial a connu quatre années en hausse et six en baisse, l’exportation six années en hausse et quatre en baisse, le marché français neuf années en baisse et une année en hausse. Le champagne souffre d’un manque de visibilité dans un monde consommateur qui boit moins d’alcool et surtout moins de vin, qui s’intéresse à la transition écologique et qui privilégie les petits prix.

Poursuivre l’adaptation de la production aux ventes

Et l’adaptation des prix aux marchés. Certains le pensent, d’autres le disent, comme Christophe Juarez, Directeur Général de Terroirs et Vignerons de Champagne, à propos des prix : « Les Champenois ont exagéré » ou comme Michel-Edouard Leclerc : « Le Champagne a pété les plombs, il a pété les bulles » et d’autres encore agissent. Sur le terrain, des stocks en saturation et des rendements à adapter. Voici une vingtaine d’années les responsables de l’interprofession du Champagne estimaient à 3 années de ventes la limite des stocks à ne pas dépasser. En 2025 ces stocks pèsent 1,285 milliard de bouteilles, soit un total record, rapporté aux expéditions 2024, de 4,8 années. Au passage, un trésor, au prix moyen de 2024, de près de 28 milliards d’euros. Sans préciser un calendrier, le Comité Champagne entend réduire ce stock d’au moins 10% dans un premier temps. C’est ainsi qu’il a fixé à 9 000 kg l’hectare le rendement 2025, contre 10 000 kg en 2024 et 12 000 kg en 2023, soit la couverture cette année de 260 millions de bouteilles expédiées.

On est certes loin d’un Champagne bashing et les axes de travail pour un meilleur devenir existent. Même inavouée, la pause sur les augmentations de prix, voire un certain recul par endroits, fait surface. La recherche d’expansion vers certains marchés visent des pays encore faiblement consommateurs (aux alentours d’un million de cols). Mais l’histoire prouve, avec patience, que les horizons peuvent s’ouvrir. Le meilleur exemple vient du Japon (de 0,4 à 12,5 millions de bouteilles en 40 ans), suivi par les Emirats Arabes Unis (0,2 à 3,4 millions), la République de Corée (de 0,1 à 1,9 million), ou encore Hong-Kong, Singapour ou l’Afrique du Sud.

On pourrait aussi s’interroger sur l’atonie de marchés de référence comme celui de l’Allemagne, pour la première fois sous la barre des 10 millions de bouteilles depuis 1987, ou celui de la Belgique, pour la première fois sous les 8 millions depuis 2002, ou encore celui de la Suisse à son plus bas niveau depuis 1985. Sur une éventuelle montée des exportations vers l’UE, via la vente directe, la réglementation communautaire serait sur la sellette et c’est ce qu’affirme Maxime Toubart, Co-président du Comité Champagne : « Il est plus facile de vendre une palette au bout du monde que six bouteilles en Belgique, à 200 km d’Epernay ».

On pourrait également constater la chute du premier marché mondial du champagne, la France avec aujourd’hui ses 36% du total mondial en valeur, contre 51% en 2011. Une chute en volume de 25% entre 2011 et 2024, accompagnée d’une belle résilience en valeur (-5,6%). Dans le même intervalle, le prix moyen de la bouteille en France (+45%) a moins progressé que dans le monde entier (+57%). Et pour en terminer avec la hausse exagérée des prix du champagne : l’inflation cumulée des prix à la consommation des années 2022, 2023 et 2024 s’élève en France à +12,1%, celle des prix du champagne à +19,6%.