Champagne / In Vino

La Champagne unie pour défendre l’appellation

Champagne. Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, et Franck Riester, ministre délégué en charge du Commerce extérieur et de l’Attractivité en visite à Epernay, en soutien de la filière Champagne face à la nouvelle législation russe.

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Laurent d’Harcourt, Président du Directoire du Champagne Pol Roger, explique les subtilités de la fabrication du champagne à Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, et à Franck Riester, ministre délégué en charge du Commerce extérieur et de l’Attractivité.

« Il n’est de champagne que de la Champagne ». Depuis de nombreuses années, le Comité Interprofessionnel du Vin de Champagne martèle ce slogan à travers le monde. Le message est simple : le seul champagne qui vaille est celui qui a été conçu en Champagne. Point.

S’il est aujourd’hui protégé dans 120 pays dans le monde, la Russie vient de porter un coup à l’appellation en adoptant une nouvelle législation prévoyant que si les vins de Champagne ont toujours le droit exclusif d’utiliser le nom « champagne » en caractères latins sur l’étiquette principale, ils ne pourront utiliser le terme « Champanskoie » - champagne en russe - et à se présenter sous le terme de « vin mousseux », en caractères cyrilliques, sur la contre-étiquette. Avec cette nouvelle loi, seuls les vins effervescents russes seront désormais autorisés à utiliser le nom « Champanskoie ».

Un camouflet pour les producteurs qui se voient ainsi dépossédés de leur propre nom sur le territoire russe. Pour rappel, un peu moins de deux millions de bouteilles de champagne sont exportées vers la Russie chaque année, qui représente le 15e marché de la filière. Du côté de la France, les réactions ont été immédiates. Le Comité Champagne a déploré que cette réglementation « n’assure pas aux consommateurs russes une information claire et transparente sur l’origine et les caractéristiques des vins », soulignant par la même occasion que cette loi remette en cause « plus de vingt ans de discussions bilatérales entre l’Union Européenne et la Russie sur la protection des appellations d’origine ».

Suspension des expéditions

Estimant dans un premier temps qu’il était « scandaleux » de priver les Champenois du droit d’utiliser le nom « champagne » en cyrillique, Jean-Marie Barillère et Maxime Toubart, co-présidents du CIVC ont immédiatement demandé aux entreprises champenoises de cesser toute expédition vers la Russie « jusqu’à nouvel ordre ».

Vendredi 9 juillet, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, et Franck Riester, ministre délégué en charge du Commerce extérieur et de l’Attractivité se sont rendus en urgence à Epernay pour une réunion de travail d’une heure avec les représentants de la filière et les élus locaux, avant de se rendre dans la Maison de Champagne Pol Roger.

Après avoir présenté sa Maison à la délégation ministérielle, Laurent d’Harcourt, le président du Directoire de Pol Roger présentait plusieurs palettes prêtes à l’expédition vers la Russie et bloquées sur le quai. « Les Russes sont des amateurs de champagne qui aiment les belles bouteilles. Pour le moment nous avons entre 5000 et 6000 bouteilles en attente, sur les 30 000 que nous expédions en Russie chaque année ».

« Il s’agit d’un sujet à prendre très au sérieux, au niveau politique et diplomatique. Il dépasse largement le cadre de la Champagne »

À l’issue de la visite ministérielle, la tension, palpable dans les communiqués des uns et des autres, est un peu retombée. Car entre temps les experts juridiques du Comité Champagne et des Maisons ont engagé la relecture et l’analyse de cette loi très récente (elle date du 2 juillet 2021) de 76 pages, rédigée en cyrillique. De quoi commencer à percevoir les véritables intentions du gouvernement russe. Il semblerait que le texte soit davantage destinée à la régulation du marché intérieur russe des vins qu’à formaliser des mesures de protectionnisme vis-à-vis des vins étrangers.

Toutefois, vigilance et fermeté restent à l’ordre du jour pour les deux ministres venus apporter leur soutien à la filière champagne. Pour Julien Denormandie, « la position du gouvernement est très claire sur le sujet : le champagne, c’est français et ça vient de la Champagne ». Un message clair et définitif, exprimé après une réunion de travail tenue « pour élaborer une feuille de route et retrouver une situation normale le plus rapidement possible par la voie diplomatique. Il y va d’une belle filière, d’une partie de notre identité et du rayonnement de la France à l’international ».

David Chatillon, Directeur général de l’UMC et Maxime Toubart, Président du SGV réaffirment leur détermination à défendre l’appellation Champagne.

« Nous ne lâcherons rien »

Un avis partagé par son homologue du gouvernement Franck Riester, qui promet d’engager son « énergie au niveau français et européen » et « d’échanger avec les Etats membres pour établir la meilleure stratégie », basée sur la négociation dans un premier temps. L’enjeu est de taille pour l’ensemble des appellations (AOP et AOC) françaises voire européennes, qui pourraient subir la même remise en cause, à l’image du Cognac, par exemple. « Nous serons ferme sur le principe et sur le droit », poursuit le ministre. « Avec l’Union Européenne, qui est en charge des négociations commerciales, nous avons déjà obtenu des résultats avec la Chine, le Canada et le Japon, notamment ».

« Avec cette loi, la Russie n’a sans doute pas cherché à pénaliser le champagne mais à réglementer sa filière de vins. Mais notre sujet reste de faire reconnaître aux autorités russes que le mot champagne en cyrillique ne peut désigner que le vin de Champagne », souligne David Chatillon, Directeur Général de l’Union des Maisons de Champagne.

« Il s’agit d’un sujet à prendre très au sérieux, au niveau politique et diplomatique. Il dépasse largement le cadre de la Champagne », rappelle Maxime Toubart, président du Syndicat Général des Vignerons, qui n’appelle pas au boycott mais qui conseille aux Champenois de ne plus exporter jusqu’à nouvel ordre, afin de ne pas entrer dans cette démarche d’adaptation des étiquettes, qui serait un point de non-retour, sur le marché russe et sans doute, par voie de conséquences, sur d’autres marchés.

Une détermination qui colle aux derniers mots prononcés par Julien Denormandie avant de quitter Épernay : « Nous ne lâcherons rien ! »