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Des moissons décevantes rattrapées par des cours à la hausse

Agriculture. La saison des moissons touche à sa fin et la profession s’accorde à dire qu’elle aura été très compliquée, aussi bien au niveau de la qualité que de la quantité. Seule source d’optimisme, dans la mesure où tous les pays de la planète ont été touchés, les cours du blé se sont envolés, venant compenser des pertes atteignant pour certains, 25%.

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Les agriculteurs viennent récupérer “les déchets” de récolte afin de les valoriser, en méthanisation par exemple.

Fin août, alors que les moissons sont d’ordinaire terminées, le ballet des tracteurs ne faiblit pas dans toute la Champagne Ardenne. La raison ? Des moissons très tardives dues à des conditions météorologiques exceptionnellement mauvaises pour des mois d’été. « À certains endroits, il a plu jusqu’à 150 mm d’eau », indique ainsi Hervé Lapie, président de la FDSEA 51 et de la FRSEA Grand Est. « La moisson a débuté globalement à partir du 25 juillet, et dans le département de la Marne, elle est terminée à 97% », précise-t-il. « Il reste les parcelles inondées du 14 au 21 juillet. »

Celles-là même qui ont subi de plein fouet les phénomènes exceptionnels de tempêtes. Et si la moisson a été retardée, ce n’est pas tant ce retard qui est problématique - « on a déjà moissonné jusque début septembre » - mais c’est surtout la quantité et la qualité des grains qui est altérée. « La profession est fortement déçue par rapport au potentiel qu’augurait cette récolte fin juin », explique pour sa part, Maxime Thuillier, responsable collecte chez Cérèsia, coopérative agricole issue des fusions de Céréna et Acolyance en juin 2019.

« Nous avions beaucoup de biomasse et un nombre d’épis record au km2. Mais nous avons eu un problème de remplissage du grain à cause du manque d’ensoleillement », poursuit- il. En moyenne « olympique », la coopérative rentre une production de 85 quintaux à l’hectare. Elle s’attendait à +5% de cette moyenne, mais est au final, sur une estimation à 82 à 83 quintaux.

1.900 Ha toujours pas récoltables

Devant cette situation, une cellule départementale a été créée fin juillet, regroupant la FDSEA, les Jeunes agriculteurs et la Chambre d’Agriculture afin d’évaluer les dégâts. Bilan : 4 300 hectares ont été répertoriés comme inondés dont à l’heure où nous écrivons ces lignes, 1 900 ha ne sont toujours pas récoltables, ce qui représente 270 agriculteurs concernés. « Nous travaillons sur du vivant, il faut donc toujours s’adapter », souligne Maxime Thuillier, annonçant que Cérésia a revu le taux d’humidité des grains livrables dans ses contrats, les passant de 15% à 17,5% « sans frais de séchage ». « Lors d’une belle journée, ensoleillée et avec un peu de vent, on peut gagner jusqu’à 2 points d’humidité. »

Maxime Thuillier, responsable collecte chez Cérésia.

Pour la coopérative, qui couvre neuf départements, du Nord à la Seine et Marne, en passant par la Somme et la Marne, environ 20 % des terres n’ont pas encore été récoltés. Et dans celles qui l’ont été « 10% des livraisons d’orge contenait des graines germées, à hauteur de 3- 4%. » Le président de la FDSEA 51 abonde : « Il y a encore des parcelles avec 20 cm d’eau que l’on ne peut toujours pas récolter. » Les variétés les plus touchées ont été les protéagineux, avec des taux très importants de germination. « Sur certaines cultures, on peut aller jusqu’à 60% de pertes », livre Hervé Lapie, qui a passé une partie de l’été à la rencontre des agriculteurs de la région.

« La zone du Tardenois a beaucoup souffert, tout comme le Vitryat et l’Aisne. Du côté de la plaine de Champagne, dans les alentours de Châlons, c’est beaucoup moins catastrophique. Et en agriculture, à 10 km près, on peut avoir des cultures ravagées ou pas. » On comprend aisément que dans ces cas de figure, le cours des céréales compte beaucoup pour la rémunération finale de l’agriculteur. Plusieurs stratégies vont alors être adoptées : celle de livrer à la moisson ou d’attendre, de stocker à la ferme si cela est possible et d’avoir un oeil sur les cours pour vendre au meilleur moment.

« La recherche est importante en ce qui concerne l’adaptation des variétés, résistantes à la sécheresse et à la pluie. »

« Aujourd’hui, un peu plus de la moitié des blés ont déjà été vendus », observe Maxime Thuillier. Et à environ 230 à 250 euros la tonne, contre 180 euros la tonne les autres années, cela permet de limiter les pertes financières sur une récolte au rendement bas et peu qualitatif, « avec un grain gonflé par la pluie mais presque vide ».

« C’est là qu’intervient le rôle de la coopérative, notre raison d’être avec le travail du grain », insiste le responsable collecte. « La norme c’est 76 kg l’hectolitre, on va passer le grain à la nettoyeuse, enlever les déchets qui vont aussi être valorisés en méthanisation par exemple, et pourront être revendus à 55€ la tonne. Notre raison d’être c’est : nettoyer, trier, ventiler, calibrer… En somme, le sélectionner. » Mettre l’agriculteur au centre de l’écosystème, est la volonté de Cérésia, avec comme vocation, celle de répondre aux besoins de tous les agriculteurs.

« Si on a un service cohérent, avec un prix pertinent, on arrive à gagner des adhérents », confie Maxime Thuillier. « C’est une bonne chose que les prix du blé aient augmenté pour équilibrer les pertes liées à la quantité et la qualité des blés », souligne le président de la FDSEA 51. Idem pour le colza, utilisé pour produire du bio-carburant ou de l’huile alimentaire, le prix a flambé de 400 € la tonne à 550 € la tonne avec une récolte en baisse de presque une tonne à l’hectare.

Nouvelles conduites culturales

Depuis six ans, les moissons connaissent des années « particulières », entre pluie et sècheresse. C’est pourquoi, la profession demande une adaptation des dispositifs de compensations. Dans la Marne, cette problématique prend une tournure particulièrement locale avec l’inondation des terres agricoles, liées à la réserve du lac du Der, servant à ne pas inonder Paris. « Il faut revoir la stratégie du règlement d’eau et face au changement climatique, revoir la courbe de remplissage du lac du Der », insiste Hervé Lapie, soulignant aussi la nécessité de l’entretien des fossés et cours d’eau, « parfois en contradiction avec les exigences écologiques de préservation de la faune et de la flore ».

Le président de la FDSEA 51 attire l’attention sur le fait qu’un fossé enherbé et ensablé, où certes s’épanouit la bio-diversité, n’aura plus sa vocation initiale qui est de favoriser l’écoulement des eaux de pluie. Pour autant, Hervé Lapie l’assure : la profession se transforme, au gré des avancées technologiques, des souhaits des consommateurs et de l’évolution du climat.

« La recherche est importante en ce qui concerne l’adaptation des variétés, résistantes à la sécheresse et à la pluie. Le choix des cultures aussi doit être pris en compte : le soja est par exemple une culture que l’on pourrait développer. Diversifier l’assolement et appliquer un choix variétal, font partie des leviers pour résister à des récoltes compliquées. » Chez Cérésia aussi, la recherche de la qualité optimum du grain est prise en compte avec une unité dédiée spécifiquement à cette activité.