Geoffrey Martin
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Geoffrey Martin

Le goût de l’excellence.

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Photo du chariot roulant
Aujourd’hui, un chariot roulant avec différentes essences de bois peut se vendre, selon sa complexité, jusqu’à 20 000 €. (Crédit : AUDEXOM)

« Ne jamais rien lâcher. » Ces quelques mots font figure de devise pour Geoffrey Martin, qui pour arriver là où il en est aujourd’hui, a dû surmonter bien des obstacles. On pourrait pourtant croire que sa destinée était tracée depuis petit, que sa trajectoire professionnelle a été facilitée par le fait de grandir dans l’univers de la menuiserie, dont son père tenait une entreprise à Warmeriville. « J’ai toujours été plutôt manuel », confie Geoffrey Martin, précisant avoir en conséquence effectué, dès 15 ans, un CAP puis un brevet des Métiers en Ébénisterie d’Art.

Mais rapidement, l’envie – déjà – de voler de ses propres ailes se fait sentir, et « avec la volonté de sortir de l’atelier », il s’inscrit dans un BTS NRC, c’est-à-dire spécialisé dans « la relation client ». À partir de 2013 et pendant quatre années, il délaisse ainsi les marteaux et burins pour les tableaux de bord de clientèle et écume l’Est de la France : tout d’abord pour le compte de la société Würth, spécialisée dans l’outillage et le matériel pour le bâtiment, puis pour Total.

« Travailler pour ces deux sociétés m’a apporté non seulement une grande rigueur mais aussi le fait d’oser mettre le pied dans la porte. » Bien que décrié, il trouve sa place chez l’énergéticien qui lui apporte « une réelle méthode pour structurer l’offre commerciale. » Entre ses deux formations, manuelle et commerciale, il adopte un « savoir-faire » tout autant qu’un « faire-savoir ».

Et alors qu’il est lancé sur les rails de l’offre commerciale pour un groupe qui pèse plusieurs milliards d’euros, en 2016, son père lui annonce qu’il veut revendre l’entreprise familiale et a déjà entamé les démarches avec un repreneur. Il n’hésite pas longtemps pour revenir dans le monde des embruns de sciure de bois. « J’ai eu un déclic psychologique ce soir-là. » Geoffrey Martin s’associe alors avec les nouveaux repreneurs dans l’idée de faire un projet dans lequel il souhaite, dès le départ, développer du mobilier pour la gastronomie, l’hôtellerie et l’univers des vins et spiritueux.

« J’ai présenté le projet de l’Artelier et décidé de créer une filiale. » En 2017, il vend ses premiers produits, tout de suite à de grands noms locaux, comme le Domaine des Crayères (à Reims) et le champagne Veuve Clicquot, qui lui font rapidement confiance.

Mais malgré son investissement, au niveau de la fabrication, des problèmes de qualité remontent et entrainent une scission au sein de l’entreprise avec les repreneurs de la menuiserie. « Quand j’ai lancé ma filiale, je me suis tout de suite dit que la partie commerciale serait la plus compliquée et la partie fabrication et qualité la plus évidente. C’est tout l’inverse qui s’est passé », raconte-il. Les contraintes de l’atelier autant que la mutualisation des moyens précipitent « la séparation », comme il le décrit à plusieurs reprises, démontrant tout l’affect qu’il avait aussi mis dans cette association.

Précieux petit guide rouge

En juillet 2018, il gagne un concours de ‘‘pitch’’et remporte devant 400 personnes le premier prix : un chèque de 2 500 euros, première étape de son émancipation. Il rembourse alors les parts des associés pour enfin, voler de ses propres ailes et créer, au 1er janvier 2019, son entreprise indépendante, « avec déjà un emprunt sur le dos et une seule mission : conquérir la France avec mes créations à l’aide du petit guide rouge » (Michelin, ndlr.) qui ne le quitte jamais et trône d’ailleurs en bonne place sur son bureau. « J’en ai fait mon CRM », livre-t-il volontiers.

Sa cible prioritaire ? Les établissements deux ou trois étoiles, pour tout de suite se positionner vers des produits et une clientèle haut-de-gamme. En 2019, c’est la montée en puissance. Le chef rémois triplement étoilé Arnaud Lallement lui confie un projet de 50 000 euros. À partir de ce moment-là, d’autres suivent presque automatiquement, le Meurice ou encore le Shangri-La.

À la fin de l’année 2019, le chiffre d’affaires est passé de 20 000 à 94 000 euros mais les marges de l’entreprise restent faibles, d’autant que Geoffrey Martin n’a plus d’atelier et fait produire son mobilier par des sous-traitants, à Cambrai, Rennes ou encore Auxerre. Un modèle difficilement viable sur le long terme. « Je n’avais plus qu’un bungalow de 15 m2 dans ma cour, avec un établi et du matériel pour effectuer des prototypes. ».

Avec sa compagne, décision est donc prise de réintégrer la production. « En septembre 2019, nous avons investi près de 200 000 euros en matériel et local pour nous développer. Nous avons embauché trois personnes, un directeur artistique et deux en fabrication. Et puis arrive le mois de février 2020, où alors que nous avions déjà pour l’année 90 000 euros de bon de commande, le confinement est décrété », se remémore le jeune homme.

Des grands noms et de nouveaux projets

Coup dur et désillusions en cascade. Les commandes disparaissent, l’horizon s’assombrit. Mais fidèle à son tempérament obstiné, Geoffrey Martin ne lâche rien. Des aides sont débloquées, il continue de démarcher les établissements et surtout, dans la tempête, il décide d’embaucher.

« On m’a pris pour un fou. » Et puis, 2020 passe, l’exercice effectué sur 18 mois révèle un CA toujours en augmentation et petit à petit, l’Artelier se consolide. En 2022, une chargée de communication interne et externe est embauchée pour revoir aussi bien la stratégie marketing que commerciale. « Nous avons inclus le concept de marge dans nos produits, ce que nous ne faisions pas forcément avant », reconnait Geoffrey Martin qui avait du mal à déterminer le prix juste de ses créations.

Ainsi, pour un chariot à fromages par exemple, un élément qu’il vend beaucoup aux restaurateurs, l’étude artistique et le temps de réalisation sont aujourd’hui compris dans le prix total qui colle également à une nouvelle stratégie de marque.

« De l’étude artistique à la réalisation en passant par la gestion de projet, nous offrons un véritable accompagnement. Cette nouvelle manière de travailler s’accorde aussi avec nos clients qui ont, pour beaucoup, des chargés de projets et toute une équipe derrière eux. »

« L’amour du travail bien fait, la justesse et l’émotion, nous avons les mêmes valeurs que les chefs étoilés pour lesquels nous travaillons. »

Car de grands noms de la gastronomie française font désormais appel à ses services et ceux de l’équipe de l’Artelier : citons pour les plus renommés, Hélène Darroze, Mauro Colagreco ou encore Arnaud Donckele pour le Cheval Blanc. Depuis 2022, les projets sont en constante augmentation avec pour la première fois, une rentabilité et une viabilité de l’entreprise

En 2023, Geoffrey Martin projette un chiffre d’affaires de 700 000 euros et ne compte pas s’arrêter en si bon chemin puisqu’il a encore de nombreux projets en tête : un centre de formation des métiers d’arts, « un chariot à fromages c’est 200 heures de travail pour une seule personne sur un mois et demi », veut-il rappeler pour mettre l’accent sur l’importance du savoir-faire et sur le métier artisanal et artistique d’ébéniste.

Mais aussi la création d’une collection permanente d’objets d’art de la table. Un foisonnement d’idées et une détermination qui forcent aussi l’admiration de ses proches. « La clé est de savoir bien s’entourer », révèle humblement Geoffrey Martin songeant à sa femme et ses équipes. Une maxime que pourraient lui rendre tous les chefs étoilés avec lesquels il collabore au quotidien.