Fabienne Savella
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Fabienne Savella

Une vraie fibre pour le chanvre.

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Photo de Fabienne Savella
Fabienne Savella a participé au lancement officiel du Pôle Européen du chanvre. (Crédit : NC)

Après avoir travaillé dans le secteur de la fast fashion, c’est en 2016 que Fabienne Savella a changé de cap en créant la marque de textile Limit Ed Concept, une ligne de vêtement éco-responsable. Suite à des problèmes de santé dus à des perturbateurs endocriniens, elle a décidé de se tourner vers des matières 100 % naturelles, comme l’ortie puis le chanvre.

Elle compte aujourd’hui parmi les membres fondateurs du Pôle Européen du Chanvre (PEC). Son lancement officiel, le 2 février dernier, a été l’occasion pour elle de rappeler les nombreuses vertus de cette fibre poussant sans pesticide et peu gourmande en eau. Tout en évoquant son projet de création d’une ligne de prêt-à-porter stylée produite avec du chanvre Made in France. Avec la promesse de « travailler en circuits courts, afin d’aider à relocaliser une filière textile, qui, ces dernières années, a vu disparaître son savoir-faire sur le sol français ». « J’ai toujours dessiné, depuis toute petite », se souvient la Grenobloise d’origine.

Elle a dix ans lorsqu’un reportage sur Yves Saint Laurent lui permet de comprendre que ses dessins sont en fait des croquis de stylisme. Puis une prof de collège l’aidera en dehors des cours à se perfectionner… Avec en poche un Bac Arts plastiques et un BTS Stylisme, elle part travailler à Paris dans différentes entreprises de prêt-à-porter de luxe.

« J’ai touché différents types de vêtements, dans le sportswear en bureau d’études pour des marques connues et pour des marques du Sentier. Ainsi que dans l’enfant. Dans ma famille, deux personnes travaillaient dans l’industrie du textile, dont une au prototypage chez Marèse », évoque Fabienne Savella. Parallèlement, elle travaillera pour le haut de gamme d’Infinitif, au département Sonia Rykiel.

À la fin de ses études, elle a 21 ans. Jugée « trop jeune pour diriger des entreprises et pour être au poste de styliste », elle se dirige vers la vente. Et suit une formation de modéliste à l’AFPA de Nevers. Devenue designer de mode, modéliste, patronnier gradueur, un poste de direction de collection lui est proposé à Paris comme styliste modéliste femme et enfant pour une marque concurrente de Tex :

« On me proposait 4 000 francs par mois pour 12 heures de travail par jour. J’ai demandé 6 000 francs mais ils n’étaient pas prêts ».

Au même moment, la possibilité de disposer d’un local pour se mettre à son compte se présentera à la jeune diplômée. C’est ainsi qu’en juillet 1995, à l’âge de 23 ans, elle s’installe dans la région de Grenoble en créant sa première marque de prêt-à-porter classique.

« Je travaillais avec des commerciaux car mes créations étaient diffusées nationalement », précise-t-elle.

Arrivée dans l’Aube

En 1999, elle acquiert une boutique propre à sa marque. Au bout de neuf ans, elle décide de « laisser tomber la boutique pour travailler pendant une dizaine d’années avec des multimarques diffusées en France et aux États-Unis ».

Parallèlement, en 2016, elle devient Artisan d’art, comme prototypeur. « Avant cette date, le textile n’était pas reconnu dans cette liste », explique-t-elle. C’est également à cette période qu’elle commence à s’intéresser de près aux matières oubliées.

En 2019, Fabienne Savella habite à Paris. Après avoir envisagé de travailler l’ortie, après la création de Limit Ed Concept, elle se tourne vers le chanvre, une matière qui commence à refaire parler d’elle.

« De fil en aiguille, la vie a fait que j’ai préféré acheter une maison dans l’Aube, proche de Paris. Grâce à la Chambre de métiers, j’ai pu développer mes contacts et ma marque. On m’a proposé de faire partie du projet Cœur de métiers d’art à la galerie de la FNCA pendant six mois, où j’ai pris connaissance de la création du Pôle Européen du Chanvre », relate-t-elle.

Membre fondateur du pôle européen du Chanvre

Le PEC fera écho à ses aspirations : « Ça collait parfaitement avec ce que je voulais développer. Eux avaient comme projet d’aider les entreprises à développer cette matière-là. Et j’étais intéressée par tout le travail de recherche mené par le pôle », fait valoir la cheffe d’entreprise, qui a fait partie d’un groupe de travail sur le textile notamment.

Grâce à une plateforme de mise en relation d’entreprises du textile, une bonne partie de son activité actuelle concerne la sous-traitance pour des marques émergentes ou petites, pour du prototypage et le suivi de fabrication de collections et de petites séries.

Depuis le mois d’août 2022, elle a ouvert un bureau d’étude à Romilly-sur-Seine et travaille actuellement pour sept marques des États Unis, de Suisse et du sud de la France. Elle développe d’autre part la marque Limit Ed Concept, spécialisée dans le chanvre et la laine. Grâce aux initiatives comme la sienne, les tisseurs se sont mis à développer leur activité autour du chanvre.

« Pourquoi le chanvre devrait-il continuer à partir en Chine, en Pologne ou en Turquie pour revenir en France sous forme de fil ? Je pense que, d’ici un an, je serai en mesure de proposer des vêtements 100 % français. »

Annonce la dynamique entrepreneure, tout en soulignant que beaucoup d’entreprises d’Italie fabriquent déjà des tissus chanvre et laine pour le prêt-à-porter.

Fabienne Savella prépare en ce moment la collection hiver 2023-2024, sa première collection exclusivement en chanvre et laine, destinée essentiellement à la femme. Mais, pour elle aussi, se pose le problème de recrutement…Parmi les réalisations de son bureau de création figure par exemple une ligne de tenues en chanvre destinée à une jeune entrepreneure du monde agricole.

« Selon ses exigences et son cahier des charges, nous avons créé des hauts et pantalons asymétriques, agréables à porter en toute saison pour le travail en extérieur avec des formes adaptées aux femmes – la combinaison d’agriculteur n’est pas très pratique pour les femmes et pas très esthétique », sourit Fabienne.

La jeune passionnée étend également ses études sur la matière à la laine de brebis sarde. « L’utilisation de cette laine, rare actuellement dans l’habillement, aidera de petits éleveurs à trouver preneur pour cette belle toison longue et lisse à un prix honorable », explique-telle, avant d’ajouter : « Je fais également de la direction de collection pour des gens qui veulent monter une marque et ne savent pas par où commencer ».