Patrice Legrand
Invités / Entretiens

Patrice Legrand

Le viticulteur qui voyage au centre de la Terre.

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Photo de Patrice Legrand
Patrice Legrand partage son temps entre le creusement de caves, les présentations de fossiles et les visites de la Cave aux Coquillages. (Crédit : NC)

Patrice Legrand est viticulteur de métier et passionné de longue date par la recherche de fossiles. Au fil des années, cette passion est même devenue son activité principale. Après avoir creusé tout un réseau de galeries dans deux anciennes caves champenoises, il a créé la Cave aux Coquillages. Puis il a confié à son fils Thibault l’activité de viticulture pour se consacrer à ce fascinant site fossilifère, ouvert au public depuis 2011. Il partage aujourd’hui son temps entre creusement de caves, présentations de fossiles et visites guidées.

De son enfance, Patrice Legrand garde le souvenir d’avoir accompagné dans les vignes ses parents, viticulteurs à Vendières. « Je me suis mis à y ramasser des pierres, cela m’a amené à rassembler une collection de fossiles. Et puis, c’est devenu une passion », explique-t-il. Pendant ses loisirs, il se rend déjà souvent à Fleury-La-Rivière, près de chez lui, pour faire des fouilles. L’occasion pour le géologue-paléontologue en herbe de découvrir combien « les couches de fossiles [y sont] riches et spectaculaires ».

Car ce village est situé en plein cœur de la Vallée de la Marne, dans la région de Damery, site des plus réputés dans l’univers de la paléontologie. Des coquillages qui affleurent à même la roche sont des vestiges marins datant de 45 millions d’années. En lieu et place des vignes actuelles, une mer tropicale était peuplée de requins, de poissons et de milliards de mollusques.

Des études en viticulture-œnologie

En 1974, il a treize ans lorsqu’il entame ses études en viticulture-œnologie à Gionges puis à Avize. À la fin de son cursus, en 1980, il part à l’armée avant de s’installer à son compte en 1982. Sa sœur et lui reprendront chacun une partie du domaine familial. Viticulteur de métier en semaine, le passionné de paléontologie « prend sa pioche le dimanche pour aller faire des trous un peu partout ».

« On a cherché un lieu où l’on pourrait présenter les fossiles en les laissant sur place et on a pensé aux caves de Fleury-la-Rivière qui étaient creusées dans ces niveaux-là », se souvient-il. C’est en 1993 qu’avec son épouse, Anne, ils acquièrent une première cave. Avant d’en acquérir une seconde en 1995 : « On a alors décidé d’aménager les bâtiments à notre disposition pour en faire notre domicile et notre structure d’accueil du public pour les visites du site », ajoute le passionné. Le couple emménagera ainsi à Fleury-la-Rivière en 2004.

Création d’un réseau de galeries

Le temps d’obtenir toutes les autorisations, c’est en 1997 que le premier coup de pioche est donné. Le début d’un long travail permettant de créer tout un réseau de galeries reliant ses deux anciennes caves champenoises. En 2006, le couple ouvre des chambres d’hôtes. Puis, l’accord de mise aux normes de sécurité et d’accessibilité, en 2011, permettra l’ouverture officielle des caves au public.

Depuis cette date, la Cave aux Coquillages de la maison de champagne Legrand-Latour est une invitation à voyager dans le temps. Ici, plus de 300 espèces recensées de fossiles sont montrées dans leur contexte, dans la roche, en place, telles qu’elles ont été mises au jour. Un fait assez rare en paléontologie.

« On a une couche qui correspond à une période bien précise du Campanile giganteum, qui pullulait dans la mer de l’époque. C’est un gastéropode de plus de 40 centimètres de long. On a dégagé toute une plage de ces coquillages en les laissant sur place », explique-t-il, avant d’ajouter :

« Tous nos ateliers, nos chantiers de fouilles ont lieu directement en galeries. Les gens peuvent voir comment on procède pour la découverte de fossiles. »

Des visites aux stages en passant par les initiations et les ateliers, ces découvertes insolites s’adressent à tous publics : individuels, groupes, clubs, associations, scolaires, familles - toute l’année, sur réservation.

« J’ai une expérience de terrain car au début c’était un loisir. Par contre, pour raconter toute l’histoire du site, on s’est rapprochés de spécialistes en géologie et en paléontologie. Pour savoir s’il était bienvenu de montrer ce patrimoine géologique au public et s’ils pouvaient nous aider pour la mise en place pédagogique de ce projet. On se fait suivre actuellement par ces personnes-là », précise Patrice Legrand. Le site est d’ailleurs laissé à la disposition des spécialistes qui peuvent ainsi mener leurs propres travaux finalisés par des rapports d’études. « Ceux-ci augmentent nos connaissances et notre documentation sur le site », apprécie le maître des lieux.

Approche géo-œnologique

« C’est devenu une activité parallèle à l’activité viticole et aujourd’hui, c’est Thibault, mon fils, qui s’occupe des vignes », sourit-il. Depuis 2017, Thibault vinifie ses propres vins qu’il travaille dans les caves qu’on a creusées à Fleury-La-Rivière car il a trouvé qu’elles présentaient « de bonnes conditions pour ses vins ». Il a même changé ses techniques de culture des vignes pour passer en biodynamie, avant d’en obtenir la certification en 2019.

C’est ainsi que la partie vinification-champagnisation est désormais intégrée dans leurs visites de caves. « La géologie-paléontologie et la vinification-champagnisation sont deux activités bien distinctes mais étroitement liées. On fait la relation entre l’influence de la géologie et le travail de la vigne sur le goût des vins. La géologie est prépondérante sur la culture de la vigne sur le goût des vins ».

Si Patrice Legrand a joué un rôle de conseil auprès de son fils jusqu’à ce qu’il change de technique de culture, il partage depuis 2017 son temps entre le creusement de caves, les présentations et les visites guidées qui se terminent par une dégustation de champagne de la propriété. La Cave aux Coquillages a accueilli l’an dernier pas moins de 14 000 visiteurs, un chiffre qui devrait passer à 15 000 cette année.