Michel Jolyot
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Michel Jolyot

L’immortalité de l’instant.

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Photo de Michel Jolyot
Michel Jolyot dans son atelier bureau, entouré de ses vinyles et objets fétiches. (Crédit : ND)

Voilà 40 ans que le photographe rémois saisit paysages de champagne et personnalités publiques, artistes et ambiance de rues. Avec toujours un œil bienveillant et l’envie d’expérimenter de nouvelles techniques. Son dernier ouvrage, Mondes Parallèles, promet une plongée dans un univers photographique fantastique et mystérieux.

L’amoureux de musique rock qu’il est, nous montre ses premiers clichés de concerts et d’artistes, soigneusement rangés dans des classeurs, accompagnés de tickets parfois collector. Avant même qu’il ne s’imagine photographe, Michel Jolyot écumait les petites salles de concert avec son instamatic en bandoulière, et prenait des photos à la volée des stars de la chanson.

« À l’époque il n’y avait pas les mêmes questions de sécurité qu’aujourd’hui et il était aisé d’approcher la scène aussi bien que les coulisses », se remémore-t-il.

Des premiers pas de Téléphone au concert des Clash en 1977 à Tinqueux, où il comptait « parmi les 80 spectateurs », en passant par une rencontre mémorable avec le chanteur et écrivain Elliott Murphy, les souvenirs immortalisés sont autant de témoignages d’une époque marquée par une grande liberté. Après quelques mois à l’école de commerce de Reims et une année à l’École normale pour devenir enseignant, il se rend compte assez rapidement qu’il ne pourra pas s’épanouir dans un travail règlementé.

Le cliché qui déclenche tout 1980 : Épris de liberté, il sillonne les États-Unis en stop. Il y fera une de ses photographies préférées. On y voit deux femmes, artistes de rues dans un New-York de carte postale. En haut un moulin à eau, plus loin, la statue de la Liberté, en marge l’avant d’un taxi jaune auquel fait face un gratte-ciel.

« Tout y est. L’attitude des jeunes femmes, l’une le poing serré, l’autre la main en avant. Les lignes de fuite, les symboles. » Mieux encore, si le cliché est esthétiquement très réussi, l’histoire derrière lui confère une valeur inestimable. « Des années après, j’ai retrouvé les deux femmes sur la photo. L’une est Caroline Simonds la créatrice du Rire Médecin, association redonnant le sourire aux enfants hospitalisés. L’autre, Marie Nimier, obtiendra le prix Femina », glisse-t-il.

« J’ai pris John Lennon en photo à New-York trois mois avant qu’il ne se fasse tirer dessus. Mes clichés ont été publiés dans trois doublepages dans Rock & Folk, comme les derniers pris de lui par un Français, de son vivant. »

Peu après, durant ce même voyage, c’est une série de clichés de l’une de ses idoles, John Lennon, qui déclenchera sa carrière. « J’étais à New-York et je savais qu’il enregistrait son dernier album au studio Hit Factory sur la 54e rue, alors qu’il n’avait rien sorti depuis sept ans. Je l’ai attendu 10 minutes et il est arrivé, descendant de voiture et attendant ensuite l’ascenseur. En rentrant en France, j’ai déposé les négatifs au magazine Rock & Folk dans l’espoir qu’ils les publient. Trois mois après, il se faisait tirer dessus et mes clichés ont été publiés dans trois double-pages, comme les derniers pris de lui par un Français, de son vivant… »

Un point de départ pour, enfin, « jouer dans la cour des grands ». Michel Jolyot intègre alors l’agence de presse parisienne REA et couvre de nombreux événements : des visites ministérielles et présidentielles du tout nouveau chef de l’État François Mitterrand, aux grèves chez Peugeot et Citroën.

Le jour, il accepte les commandes de l’agence de presse. La nuit, il rencontre les artistes du tout Paris aux Bains Douches, célèbre boîte de nuit dont son cousin est propriétaire. Là encore, son appareil photo n’est jamais loin… Coluche, Gainsbourg et de grands acteurs de théâtre comme Antoine Vitez viendront habiller ses pellicules.

De ses années parisiennes, il retient de grands moments, mais la concurrence devenant de plus en plus rude et la vie trépidante, il choisit de retourner à Reims, où il avait déposé les statuts de son entreprise.

Après une exposition à la Maison de la Culture, il reçoit des commandes de Maisons de champagne souhaitant communiquer sur leurs activités.

Le « petit monde » champenois fait des émules et, rapidement, Michel Jolyot se fait un nom aussi bien auprès des institutions que des entreprises. Chaque année, il fait des expositions de ses photographies et son agence continue de grossir.

« En 1989, j’ai installé un atelier rue François Dor, à Reims, où nous étions jusqu’à quatre salariés plus un alternant. »

Installé dans le monde du Champagne

Découvrir le travail de la terre, le travail du champagne, observer les saisons et leur impact sur le produit fini, plus rien n’a de secret pour celui qui a auto-édité une quinzaine d’ouvrages sur ces sujets.

« J’ai créé ma maison d’édition pour pouvoir publier mes clichés et en vivre aussi correctement. Le premier aura été Horizons de Champagne. Tout cela a été rendu possible grâce à l’appui de nombreux partenaires qui m’accompagnent à chaque publication. »

En plus des livres, Michel Jolyot a aussi, un temps, tenu une activité d’encadrement « à l’époque où les grandes enseignes ne vendaient pas de cadres. »

« De 1989 aux années 2000, les Maisons de champagne ont beaucoup axé leur communication sur des affiches vintages comme celles de Mucha pour Moët & Chandon. Nous étions, à un moment donné, le plus gros consommateur de plaques de verre de Champagne. »

Là encore, la concurrence passe par là, et l’activité s’arrête d’elle-même. Le photographe vend la société à l’Éclat de verre, référence de l’encadrement sur mesure qui possède une trentaine de boutiques en France.

Il continue néanmoins son métier de photographe en multipliant les expériences marquantes, comme une série de clichés du Pape Jean-Paul II venu à Reims pour l’anniversaire du baptême de Clovis, en 1996, où il se retrouve seul avec lui sur le tarmac de l’aérodrome ou encore le survol des 320 communes de l’appellation Champagne pour la constitution du dossier Coteaux, Maisons et Caves de Champagne à l’UNESCO.

« Tourner en hélicoptère au-dessus de tous ces villages était fantastique. Il faut avoir confiance et une vraie complicité avec le pilote pour que l’on puisse avoir les meilleures prises de vue. »

Et si aujourd’hui, beaucoup se font par drones, selon Michel Jolyot, « cela ne permet pas d’obtenir un résultat aussi varié ». En 40 ans de carrière, la technique photographique a en effet beaucoup évolué. À ses débuts, il développe lui-même ses clichés dans un petit laboratoire noir et blanc.

Et pour la couleur, il travaille en partenariat avec un établissement spécialisé. L’apparition du numérique lui permet donc de s’affranchir et de pouvoir retoucher ses photos lui-même.

Sans cesse en quête de renouvellement, il s’essaye à de nouvelles techniques. La dernière consiste à créer des tirages à partir de clichés de pieds de vignes, d’écorces d’arbres ou de lichens travaillés en effet miroir.

Le résultat, mystérieux, parfois inquiétant, donne à voir des créatures étranges laissant à l’imagination toutes possibilités d’interprétation. Un ouvrage, Les Mondes Parallèles, rassemble les photographies que l’on peut voir aussi, lors d’une exposition itinérante dont la première phase est à découvrir à la Cave Balourdet, jusqu’au 15 avril, puis dans plusieurs villages champenois, jusqu’au mois de septembre.

Dernier projet en date, rock’n’roll tout comme lui, un livre de photos de street art, prises au gré de ses voyages. De la centaine de clichés déjà pris, il peut en dire un mot sur chacun.