Antoine Franqueville-Roy
Invités / Entretiens

Antoine Franqueville-Roy

Un luthier au diapason.

Lecture 10 min
Portrait d'Antoine Franqueville-Roy
Antoine Franqueville-Roy est musicien et artisan luthier. (Crédit : N. Champenois)

Marcher dans les pas du compositeur pianiste Rachmaninov et devenir concertiste, tels étaient ses projets, jusqu’à l’âge de quinze ans. « J’ai travaillé pour cela pendant toute mon enfance et mon adolescence », se souvient Antoine Franqueville-Roy. Malheureusement, un revers financier mettra un terme à son ambition de suivre les classes de composition à Saint-Pétersbourg et à tous ses rêves d’expatriation. La musique, qu’il décrit comme un art qui se déroule dans le temps et nous fait évoluer, l’accompagnera cependant tout au long de sa vie. « Quand j’écoute Rachmaninov, j’ai l’impression que c’est mon meilleur ami, même s’il a disparu », confie-t-il. Devenu artisan luthier en 2019, après un riche parcours professionnel dans les domaines de la communication et de la recherche, il a créé une innovation électronique très prometteuse.

En 1994, c’est grâce à l’obtention d’une bourse qu’il entre à l’ESC de Reims. Cinq ans plus tard, diplôme en poche, il part « travailler à Paris dans de petites boîtes ». Avant d’entrer chez Publicis, en 2001. Et jusqu’en 2005, il poursuivra une carrière dans la communication et le conseil. « À 29 ans, j’ai réalisé que ce n’était pas du tout la vie que je voulais. J’ai redémarré à zéro et je suis parti vivre dans l’Aube pour faire du piano 14 heures par jour, avec un engagement absolu. Je vivais des minima sociaux, mais ça n’avait pas beaucoup d’importance. C’était une question de survie pour moi de revenir à ce que j’étais réellement, quelqu’un qui voulait totalement basculer dans la création », fait valoir Antoine Franqueville-Roy. Cet engagement finira par lui sourire et lui ouvrir des portes. Grâce au bouche à oreille, il s’envolera pour un an à Caracas, au Vénézuela, via un mécénat privé. « J’avais à ma disposition un bel appartement pour pouvoir travailler, affranchi des rigueurs de l’hiver de la campagne auboise », relate-t-il.

« La musique, c’est de l’intention et il faut des outils pour pouvoir l’exprimer »

« Je suis revenu avec la nécessité de dépoussiérer mon CV – pour pouvoir racheter un piano, le mien ayant subi un dégât des eaux dans le garde-meuble. Et je suis allé m’installer à Lille, une ville que je ne connaissais pas », souligne-t-il. Il en appréciera le contraste avec une vie parisienne
« assez pénible » et fera de nombreuses rencontres. « J’ai pu acquérir le piano de mes rêves et mener de front mes activités artistiques et une vie professionnelle assez exaltante », confie le dynamique passionné.

En 2013, il entre à l’INRIA, l’Institut national de recherche en informatique et en automatique. Il devient ainsi cadre supérieur dans des activités liées aux nouvelles technologies et à l’innovation, tout en officiant en tant qu’artiste-compositeur et enregistreur pour de nombreux studios de production à travers le monde. « À l’INRIA, je suis entré en relation avec les plus grands directeurs de recherche de ces univers-là. J’ai appris énormément à leur contact, notamment en termes de curiosité et de recherches », fait valoir Antoine Franqueville-Roy.

Un système basé sur une alchimie de trois composants

Le fait de travailler autant dans la musique lui permet alors d’acquérir des instruments parmi les plus recherchés au monde, en tant qu’outils de travail. « Mon cerveau fait de la rétro-ingénierie pendant que je dors et j’ai commencé à avoir des intuitions sur ce qui faisait la qualité réelle d’un instrument, plutôt que celle qui était vendue par le marketing et propagée depuis des décennies. À partir de ce moment-là, j’ai eu l’idée d’une innovation électronique sur laquelle j’ai travaillé pendant mon temps libre, jusqu’à en créer une preuve de concept viable pour me dire qu’il y avait là un marché absolument incroyable à développer », explique le passionné.

En d’autres termes, cela signifie qu’Antoine Franqueville-Roy a ainsi réussi à créer sur le papier la manière de transformer un instrument électrique en un instrument aussi riche, vaste et nuancé qu’un piano à queue. Ce qui revient à transformer trois niveaux de gradations de nuances en trois mille ! « C’est un système à la fois électronique, électrique et lié à la lutherie. Une alchimie de trois composants en somme, résume le musicien. Le but est de permettre aux artistes d’accéder à la nuance, celle qui permet à la musique d’exister. Car la musique, c’est de l’intention et il faut des outils pour pouvoir l’exprimer. Ce n’est pas mécanique, c’est quelque chose qui doit se résoudre dans le domaine de l’intuitif », explique-t-il.

Capacité d’industrialisation

Antoine Franqueville-Roy développe également d’autres innovations, dont la capacité d’industrialiser ce process, sans rien dégrader, pour pouvoir maintenir la promesse initiale. « Ce sont des systèmes que j’ai fait valider par Bpifrance, par Captronic et tous les pôles d’excellence dans les domaines en question », précise-t-il. Et d’insister sur le fait qu’il a créé ces systèmes d’une manière atypique : « Ma compréhension des choses, je la tire de tous les beaux-arts. Ce qui fait que l’innovation que j’ai créée en lutherie est tirée des grandes lignes de l’architecture gothique. Et ma capacité d’innovation électronique est liée à la sculpture. En appliquant ces principes, j’ai réussi à créer des innovations donnant des produits en disruption totale avec les marchés existant depuis soixante ans dans la lutherie électrique ».

L’Aubois s’est ainsi formé auprès des meilleurs artisans luthiers du monde, pour lesquels il travaillait en tant qu’artiste. « En sentant ce que j’étais en train de faire, ils ont voulu me transmettre tout leur savoir-faire. J’ai pu ainsi acquérir leur façon de faire, d’être et de penser », apprécie-t-il. Au point de le décider à devenir lui-même artisan luthier, en créant en novembre 2019 l’entreprise FR Guitars, un atelier de création et de réparation de guitares et basses électriques, à Buxières-sur-Arce. Suite à un démarrage difficile dû à la pandémie de Covid-19, il s’investit à nouveau dans la recherche et le développement : « Cela m’a permis de rendre mature ma proposition de produit. J’ai commencé par prévoir les points de contrôle qualité avant de créer les étapes de fabrication. » Pas moins de 48 points de contrôle l’assurent désormais du rendu de qualité final lui permettant de justifier sa prétention de produire du haut de gamme à la frontière du luxe sur le marché de la guitare et des basses électriques. Si le passionné s’investit et travaille avec un tel engagement, c’est aussi « parce que c’est [pour lui] la seule façon d’oublier les souffrances épouvantables qu’[il] éprouve au niveau de l’appareil locomoteur depuis qu’[il] a été victime il y a dix ans d’un accident de cheval ». Il vit d’ailleurs depuis 2012 avec une reconnaissance de qualité de travailleur handicapé.

Avec son innovation, il vise tout le marché international, et plus particulièrement les marchés américain et nord-américain. Devenir le 4e mondial, telle est son ambition. C’est pourquoi, il a décidé d’ouvrir son capital en 2023 et est actuellement en recherche d’investisseurs. Sur le plan artistique, le musicien-compositeur vient de terminer la création d’un album de piano, qui sortira en 2023. Et il poursuit également son activité d’illustrateur.