Hommes et chiffres

Emissions carbone et réchauffement climatique : rien n’est perdu !

Climat. Les émissions carbone sont le sujet de prédilection de Thomas Lauvaux. Professeur et chercheur à l’URCA, il sait la nécessité et l’urgence des mesures à mettre en oeuvre pour faire face au réchauffement climatique. Mais il aborde le sujet avec un optimisme qui… réchauffe dans la sinistrose ambiante autour de cet enjeu planétaire.

Lecture 8 min
Photo de Thomas Lauvaux
Professeur à l’URCA, Thomas Lauvaux est météorologue, climatologue, spécialiste du carbone et des sciences de l’atmosphère, et chercheur au sein du laboratoire GSMA (Groupe de Spectrométrie Moléculaire et Atmosphérique - Université de Reims) en Sciences de l’Atmosphérique et du Cycle du Carbone. (Crédit : JR)

Thomas Lauvaux, en tant que spécialiste du carbone et des sciences de l’atmosphère, quel est l’objet de vos travaux ?

Il s’agit notamment de mettre en place un système de mesure équilibré et précis du bilan carbone. Actuellement, les chercheurs travaillent à partir du bilan comptable de toutes les émissions du territoire. Cela permet, certes, de décrire toute la nature du bilan carbone. Mais cela manque de précision. Si l’on produit x milliers de véhicules ou de tonnes de sucre sur une zone donnée, comment peut-on traduire cette seule production en termes de bilan carbone ?

Cette estimation comptable est donc non seulement insuffisante, mais également source d’erreur. À l’échelle du Grand Est, en étant optimiste on peut évaluer cette marge d’erreur à 10 %, à 30 % si l’on est pessimiste ! Or, si l’on veut être « dans les clous » d’une réduction de 50 % de nos émissions carbone en 2030 (sachant que l’on en est déjà à 25 % environ), il faut poursuivre sur une base de réduction de 3 % par an. Et, pour la déterminer, la marge d’erreur doit être inférieure à 2 %, d’où la nécessité de disposer de mesures précises.

Quel est ce système de mesure équilibré que vous évoquez ?

À l’aide de spectromètres placés au sommet de tours, ou embarqués dans un avion ou sur un drone, on va mesurer le CO2 de l’air. Mais c’est encore insuffisant, puisque l’on ne sait pas d’où il provient exactement. Alors, à partir d’outils utilisés par Météo France, je m’efforce de retrouver et de retracer l’origine de ce CO2, dans une sorte de « marche arrière » pour en déterminer les sources.

Pour autant, le réchauffement climatique - qui ne se discute plus - auquel contribuent fortement les émissions carbone concerne toute notre planète. Ce système de mesure permettrait-il d’y remédier ?

Cela permettrait en tout cas de faire la part des choses. Je m’explique. Les émissions carbone continuent d’augmenter en raison de la production d’énergie fossile (charbon, pétrole, gaz) et de son utilisation (agriculture, industrie, transport…). Mais, en Europe et en France on constate une diminution d’à peu près 2 % par an, également une légère diminution aux Etats-Unis, et une stabilité de la Chine en la matière (même si sa demande énergétique domestique croît, elle investit beaucoup dans les énergies vertes).

Ce n’est pas le cas en Amérique du Sud, en Afrique, en Asie du Sud, zones en plein développement économique et qui ne disposent pas de moyens de compensation, comme c’est le cas en France avec une désindustrialisation (par délocalisation dans ces pays, notamment) et de gros investissements pour limiter les émissions carbone.

Faire la part des choses, dites-vous, en quoi cela consiste-t-il ?

J’évoquais la production sucrière, par exemple, et l’on sait que la sucrerie de Bazancourt a été montrée du doigt par le gouvernement en termes d’émission carbone. Mais il y a une logique à produire du sucre à proximité de la source de matière première qu’est la betterave. On a besoin de sucre. Il faut mesurer l’empreinte carbone de Bazancourt par rapport à l’empreinte carbone de sucre produit au Brésil (1er producteur mondial), avec la déforestation qu’entraîne la plantation de cannes à sucre, le mode de production local, le transport…

On arrive alors, pour un même volume de sucre, à un bilan carbone bien plus important que dans la Marne ! La production locale s’avère plus efficace, s’effectue au bénéfice de l’économie locale, crée de la richesse et de l’emploi, avec des chaînes courtes pour un minimum d’émission carbone. Il y a toujours une balance à faire entre l’impact économique et écologique.

Les énergies renouvelables sont-elles la panacée ?

Produire de l’énergie décarbonée (hydrogène, hydroélectricité, panneaux solaires, nucléaire…) suppose que l’on puisse l’utiliser ! Il faut donc électrifier les voitures, tous les process industriels, etc., avec néanmoins certaines limites : des batteries ne sont pas opérationnelles dans tous les domaines ! Mais d’autres sources peuvent être envisagées, comme l’hydrogène ou les bio-carburants. Là encore, des solutions existent qu’il faut mettre en œuvre. En attendant, la température augmente…

On a attendu longtemps avant de réagir et l’on vit aujourd’hui une sorte de panique par rapport à cette urgence climatique. La température, à l’échelle mondiale, a augmenté en moyenne de 2,3° depuis 1860. à l’échelle mondiale toujours, nous sommes plutôt sur une bonne trajectoire pour limiter les émissions carbone avec, pour l’instant, des solutions assez évidentes. Mais nous avons réalisé le plus facile.

Il va surtout falloir accompagner les pays émergents, qui mesurent déjà les dégâts du réchauffement, à l’image de l’Afrique subsaharienne, et qui jouent leur survie. Or, ils peuvent être fournisseurs d’énergie bas carbone s’ils développent l’implantation de panneaux solaires sur leur territoire, par exemple. Il faut mettre en place des partenariats pour être acteur d’une énergie propre. L’enjeu est planétaire.

Vous prônez une vision proactive et finalement optimiste de l’avenir…

Rien n’est perdu ! Une fois encore, à l’échelle planétaire les réactions sont lentes mais les émissions carbone devraient se stabiliser dans les années à venir, quand bien même la demande énergétique et la production augmenteront naturellement. Il y a des solutions - les circuits courts, le recyclage, la valorisation des déchets, entres autres - et des acteurs en place pour cela. Il faut bien avoir présent à l’esprit que l’Europe et la France sont observées et que leurs résultats ont un impact international.

La Chine nous regarde ! Ne pas oublier, non plus, qu’il existe un marché de l’environnement qui se développe et constitue une réelle opportunité pour la France. N’ayons pas de l’écologie une vision « punitive ».Il existe une écologie créatrice de valeur qui est l’enjeu de demain et dont il faut s’emparer.