Hommes et chiffres

« Cette année, 100% des Clubs Med seront haut de gamme »

Interview. Henri Giscard D’Estaing, Président du Club Med, est venu donner une conférence sur les mutations du secteur du tourisme devant les élèves de Neoma. L’occasion de revenir sur 20 années à la tête du leader du all inclusive.

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Photo d'Henri Giscard D'Estaing
Henri Giscard D’Estaing, fils de l’ancien Président de la République, est à la tête du Club Med depuis 20 ans. (Crédit : ND)

Petites Affiches Matot Braine : Le Club Med a été fondé en 1950, au sortir de la guerre, durant « les 30 Glorieuses », un concept qui facilitait l’abolition des barrières sociales. 70 ans après, c’est quoi le Club Med de 2024 ?

Henri Giscard D’Estaing : C’est une marque lifestyle, de vacances haut-de-gamme, pour les familles et les couples actifs. C’est une entreprise qui fait 2 milliards d’euros de volume d’affaires par an et que nous avons transformée, tout en gardant son ADN, ses valeurs. On l’a transformée physiquement, car cette année, 100% des Clubs Med seront haut de gamme ou très haut-de-gamme alors qu’ils n’étaient que 25% quand nous avons commencé ce processus en 2004. C’est aussi une entreprise que l’on appelle « Glocal », c’est à dire qu’elle est présente partout dans le monde, mais en même temps, qu’elle conserve des ancrages régionaux. La France est d’ailleurs la plus importante de ces destinations et la clientèle française reste la plus nombreuse, elle est aujourd’hui toujours majoritaire devant les Brésiliens et les Chinois.

PAMB : Pourquoi avoir effectué ce tournant du haut-de-gamme ?

Henri Giscard D’Estaing : Nous avions un projet, il fallait sauver le Club Med. Dans les années 2000, lorsque j’y suis entré, il était dans une situation très périlleuse. Il était devenu le plus cher du moyenne gamme. C’est une position très dangereuse puisqu’on avait des concurrents qui nous disaient « on fait mieux que le Club Med et moins cher ». Nous avons eu successivement des actionnaires pour soutenir ce projet de transformation qui a mis énormément de temps à se concrétiser car il s’est fait dans un contexte très difficile. En commençant par les attentats du 11 septembre 2001 qui ont, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale fait reculer le tourisme puis par une succession de crises de toutes natures. La folie des hommes et de la nature en somme, avec notamment le Tsunami en 2004, au large de l’océan Indien.

PAMB : Sur quoi se basait ce projet de transformation ?

Henri Giscard D’Estaing : D’abord sur une nécessité de survie. Le monde touristique a été bouleversé par internet. Pourquoi aller chercher un catalogue dans une agence de voyage quand on peut trouver l’information sur internet ? Aujourd’hui, 73% de notre chiffre d’affaires provient d’ailleurs directement des séjours réservés sur internet. Le tourisme a aussi été bouleversé par le low cost aérien. Donc il fallait se réinventer. Mais il y avait des forces dans le Club Med. Cette marque qui est et qui reste la seule marque mondiale de vacances est emblématique, culturelle et très forte dans le monde entier. Si c’était un peu la pagaille dans une classe, on avait par exemple coutume de dire « On n’est pas au Club Med ici ! » C’est aussi une entreprise qui a des valeurs très fortes, que nous avons voulu garder.

Cinq valeurs : le G de GO c’est à dire la gentillesse ; la multiculturalité ; la liberté ; l’esprit pionnier (le mini-club pour les enfants, les premiers à populariser les vacances à la montagne en 1956, les premiers à aller dans tous les endroits du monde – Bali – Cancun – Marrakech) et la dernière qui est la responsabilité. Ces valeurs ont pu paraître dépassées et ringardes, or, elles sont plus que jamais d’actualité et elles nous donnent aujourd’hui cette unicité des Clubs sur un business model qui fonctionne.

PAMB : Le Club Med c’est 70 Clubs à travers le monde, que favorisez-vous aujourd’hui pour les nouvelles implantations ?

Henri Giscard D’Estaing : Nous avons des critères très exigeants. Nous avons eu le choix entre essayer d’être le plus gros ou d’être le meilleur. On ne pouvait pas être le plus gros… Donc il fallait être le meilleur ! C’était une de mes inquiétudes sur notre capacité à continuer de trouver des endroits exceptionnels. Et bien, oui. Tout n’a pas été découvert, y compris dans des endroits proches de nous. Nous avons dans les Alpes, une implantation extrêmement importante avec de nouvelles stations : de Valmorel à la Rosière en passant par le grand massif Samoëns.

On s’est implanté aussi dans de très beaux sites, à La Palmyre, à côté de Royan. Ensuite, la philosophie, c’est certes d’avoir des lieux exceptionnels mais également une diversité géographique. Le monde est tellement incertain que la seule façon de se protéger est d’être partout et de manière répartie.

Nos ouvertures les plus récentes ont été, en décembre, dans l’Hokkaido au Japon. Nous en avons quatre là-bas, car la région est en train de devenir une grande station de ski d’Asie. Nous sommes aussi en train de construire un Club Med à Bornéo, un autre au Québec, au bord du Saint-Laurent. En moyenne, l’ouverture d’un Club Med c’est 120 millions d’euros d’investissement.

PAMB : Justement, au regard des exigences environnementales du tourisme, c’est un secteur qui émet beaucoup d’émissions de carbone, entre les voyages en avion et les constructions. Comment réduisez-vous votre impact écologique ?

Henri Giscard D’Estaing : Tout d’abord, nous avons un parc de villages qui n’a jamais été aussi récent et rénové. Nous avons donc pu être parmi les premiers à mettre en œuvre des normes extrêmement exigeantes. Dans la transformation des Clubs, nous en avons fermé 80 et ouvert 50. Ceux que nous avons fermés, ne pouvaient pas soient physiquement, soient économiquement être transformés et montés en gamme. Les 70 Clubs Med qui existent sont rénovés.

Ainsi, notre premier nouveau Club Med à la montagne, à Valmorel, est le premier établissement HQE dans les Alpes. Ensuite, nous avons considéré qu’il fallait aller plus loin avec le développement de la certification BREEAM, une certification spécifique qui évalue la performance environnementale d’un bâtiment en tenant compte de divers critères, notamment la performance énergétique, la gestion de l’eau, les émissions de gaz à effet de serre, la qualité de l’air intérieur, l’utilisation de matériaux durables et la gestion des déchets. Aujourd’hui, c’est un critère absolu. En parallèle à cela, nous avons décrété qu’il fallait que l’on soit exemplaire en matière d’exploitation.

Il y a 10 ans, nous avons pris la décision de faire certifier tous nos Clubs Med par Green Globe, qui est le grand organisme de certification dans le Monde. Enfin, pour nous, la préservation des sites exceptionnels fait partie de l’histoire du Club. Gérard Blitz avait cette idée, en 1950, qu’il fallait recréer le bonheur par le sport et la nature. J’ai une grande admiration pour cet homme car à l’époque, l’Europe était détruite et martyrisée. Et donc cette idée que la nature faisait partie de ce que nous devions valoriser et préserver date de cette création. Mais soyons clair, c’est vrai que le voyage a un impact sur le climat. C’est pour cela que nous avons une stratégie de « Glocal ». Mais le tourisme, c’est la vie et c’est la paix. Donc le tourisme a un rôle sociétal très important.

PAMB : La transformation des Clubs Med a été notamment impulsée par le conglomérat chinois Fosun, actionnaire depuis 2014 et devenu majoritaire il y a huit ans. Comment garder la spécificité française du Club Med ?

Henri Giscard D’Estaing : Fosun nous a accompagnés efficacement dans la nouvelle stratégie en respectant l’identité française du Club Med. Il a compris qu’il était unique. Il a soutenu très fortement le club pendant la crise du Covid qui a été un chamboulement majeur avec la fermeture de tous les Clubs en avril 2020 dans le monde. Il n’y avait plus aucune activité mais par définition, il restait des dépenses. Le soutien des banques, de l’État et de l’actionnaire qui a contribué au soutien à hauteur de 160 millions d’euros a été salvateur.

PAMB : Votre présence en Chine a ainsi été renforcée…

Henri Giscard D’Estaing : En effet, 11 Clubs Med sont présents en Chine et dans les trois ans qui viennent nous prévoyons d’en ouvrir sept ou huit. Nous avons trois catégories de Clubs en Chine. Dans des lieux absolument magnifiques : le Club Lijiang dans le Yunnan aux portes de l’Himalaya et celui de Guilin, au sud-ouest de la Chine. Ces derniers sont destinés à des clients chinois bien sûr mais aussi à des Internationaux pour visiter la Chine en famille. Ensuite, nous avons créé une ligne spéciale pour les habitants des très grandes villes, car il n’y a pas en Chine de résidences secondaires. Ce sont des lieux à 2 ou 3 heures de voiture où les familles viennent pour le week-end. Les familles connaissent donc le Club Med par ce biais-là, pour qu’ensuite, elles viennent visiter ceux dans le reste du monde. Nous avons enfin créé des Clubs Med urbains, qui répondent à un besoin particulier, le tourisme intérieur familial. Pour découvrir Shanghaï par exemple.

PAMB : Vous êtes à la tête du Club Med depuis 20 ans, comment le voyez-vous dans les 10 prochaines années ?

Henri Giscard D’Estaing : Après le Covid, les gens ont eu cette envie de « revenge travel » et en 2023, nous avons fait le plus gros volume d’affaires jamais effectué avec des résultats en hausse de 32 % par rapport à 2022. Dans 10 ans, les familles auront toujours envie de maîtriser leur budget, même si celui-ci est important, on sait où l’on va. Le « tout-compris » reste notre force. Il y aura aussi une envie de qualité, avec un niveau d’exigence de plus en plus important. Et puis, les vacances sont devenues un moment d’expérience. On veut expérimenter quelque chose en famille, les « familles 3 générations » (grands-parents, enfants, petits-enfants) ont le besoin de se retrouver, d’être ensemble mais en ayant chacun ses propres vacances. Les vacances « 3G », c’est 20% de la clientèle en Europe et 30% en Chine. Avec aussi cette envie toujours de découvrir des lieux mais aussi des gens. C’est aussi cette force que nous avons avec les GO, de 10 à 25 nationalités dans un même lieu !