Collectivités

Les acteurs locaux en soutien aux agriculteurs

Agriculture. Alors que la colère du monde agricole fait une pause après les dernières annonces gouvernementales, avec la suspension des opérations sur le terrain, au niveau local, élus et acteurs de la grande distribution essaient de trouver des solutions.

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  • Photo d'une opération escargot
    Plusieurs opérations escargots ont jalonné, durant 10 jours, la mobilisation des agriculteurs, en recherche aussi d’un soutien des consommateurs. (Crédit :ND)
  • Photo de la manifestation d'agriculteurs
    (Crédit : ND)

Après 15 jours à battre le pavé, de nombreuses actions sur le terrain sont suspendues par les agriculteurs, à l’appel des syndicats majoritaires, FNSEA et JA. Mais si les actions « coup de poing » font une pause, l’application des mesures annoncées reste sous haute-surveillance, avec toujours en tête des revendications : « la suppression des 4% de jachères obligatoires dans le cadre de la PAC ; la simplification administrative et environnementale pour faciliter l’entretien des cours d’eau ; l’interdiction de l’importation de denrées alimentaires ne respectant pas les mêmes normes que celles imposées en France ou encore un plan de soutien pour les agriculteurs engagés en agriculture biologique », selon un corpus de 10 demandes formulées par la FNSEA et les Jeunes Agriculteurs. Pour Bastien Lombard, président des JA de la Marne, les premières mesures annoncées par le Premier Ministre, Gabriel Attal les 26 et 30 janvier n’étaient pas à la hauteur des attentes :

« Ce ne sont pas des mesures mais des mesurettes. Aujourd’hui, nous avons plusieurs revendications. En premier lieu la suppression de l’obligation d’avoir 4 % de jachère de nos terres cultivables. C’est comme si je disais à mon salarié, tu travailles toujours autant mais tu diminues ton salaire de 4%. »

Rappelons que cette obligation a été décidée afin de favoriser la régénération des sols pour les exploitations supérieures à 10 ha (en France, la moyenne est de 69 ha selon le recensement de 2020). Le respect de cette mesure est une condition indispensable pour toucher les aides européennes de la PAC.

Début 2023, une dérogation d’un an avait été accordée par l’UE, en raison de la crise liée à la guerre en Ukraine, c’est pourquoi depuis le 1er janvier, cette mesure était obligatoire. Pour 2024, une nouvelle dérogation est à l’étude sans que rien n’ait encore été tranché. Pour contrer cette obligation, une des solutions apportées est la plantation de cultures favorisant la biodiversité et la captation d’azote atmosphérique. « Nous avons des terres, des charges dessus. Il faut que l’on puisse les payer. Concernant une alternative, la Champagne-Ardenne est le premier producteur de luzerne déshydratée, ça ce sont des plantes qui sont très intéressantes puisqu’elles captent du carbone et l’azote de l’air. C’est une très belle réponse au défi environnemental tout en continuant à gagner notre vie et à exploiter nos terres », avance Bastien Lombard.

EGalim 1,2,3

En ce qui concerne les importations, là aussi, le bât blesse. En jeu, la question de la souveraineté alimentaire. « Les États généraux de l’alimentation visent à relancer la création de valeur et en assurer l’équitable répartition, permettre aux agriculteurs de vivre dignement de leur travail par le paiement de prix justes, accompagner la transformation des modèles de production afin de répondre davantage aux attentes et aux besoins des consommateurs, et enfin promouvoir les choix de consommation privilégiant une alimentation saine, sûre et durable » : telles étaient les ambitions des États généraux de l’Alimentation lancés en 2017 qui ont abouti à la loi EGalim dont la première a été promulguée en novembre 2018 (deux autres ont suivi en 2021 et 2023).

Ainsi, EGalim 1 contraint les supermarchés à réaliser une marge d’au moins 10% sur les produits alimentaires et plafonne les promotions à 34%. EGalim 2, adoptée en octobre 2021, a quant à elle rendu non négociable la part du prix correspondant au coût des matières premières agricoles entre l’industriel et le distributeur. Or, de l’aveu même du Premier Ministre, cette loi n’est pas respectée, notamment par les industriels et les acteurs de la grande distribution. Lors de son déplacement en Haute-Garonne, il a annoncé que l’État, via la Répression des fraudes (DGCCRF), sanctionnerait « très lourdement trois entreprises qui ne respectent pas » la loi EGalim. En cause, des centrales d’achats européennes, créées par plusieurs grandes enseignes de la distribution.

Les distributeurs locaux en soutien

Or au niveau local, les distributeurs « indépendants », réclament de leur côté plus de clarté et plus de fermeté avec les industriels, à l’heure où se clôturaient les négociations annuelles (le 31 janvier). Exemple au Système U de Sainte-Menehould dont 20% des produits proviennent de producteurs locaux et en circuit court. « Tous les fournisseurs peuvent venir me voir et travailler avec nous », soutient Cyril Bonnier, directeur du supermarché. Chez lui, le lait, les yaourts, les œufs, la viande, les fruits et légumes ainsi que de nombreux produits d’épicerie salée et sucrée proviennent de la région. Aussi, concernant les prix, il explique ne pas effectuer de véritable marge.

« La plupart des producteurs vendent aussi en direct et sur les marchés. Donc, aussi bien vis-à-vis d’eux que du consommateur, je ne peux pas me permettre une substantielle augmentation de prix. En revanche, là où je vais avoir des leviers, c’est en achetant un fort volume pour que tout le monde soit gagnant. Moi, par rapport à la centrale d’achat en achetant local, et le producteur, en écoulant sa production à un prix correct », explique celui qui est particulièrement engagé auprès des agriculteurs. « EGalim, on le met en place dans nos magasins en négociant directement avec les producteurs », soutient-il.

Quant aux augmentations de prix des industriels ou la pratique de la « shrinkflation » qui consiste à diminuer les quantités et les emballages sans changer le prix, Cyril Bonnier est catégorique : « On ne souhaite plus distribuer les produits de certains industriels. Quand des grands groupes ont augmenté leurs prix avec l’inflation des matières premières, au même titre que des plus petites entreprises, on a essayé d’absorber ces augmentations sans que cela devienne indécent pour le consommateur. Mais alors que les prix baissent, que les PME jouent le jeu et que les grands groupes, eux, continent d’augmenter les prix, là, on ne peut plus suivre. C’est intenable pour tout le monde. »

Celui qui est aussi à la tête de l’usine de transformation laitière Schreiber Foods de Clery-le-Petit, qui alimente en marque de distributeur les 1 600 magasins Système U et est engagée avec quatre coopératives laitières locales, explique la difficulté de rivaliser avec les grands groupes : « Nous produisons des produits Bleu Blanc Cœur, avec un cahier des charges précis. Quand nous achetons 500 € les 1 000 L de lait, Lactalis, lui, achète la même quantité pour 400 €. L’industriel a besoin de capitaliser à outrance quand nous, nous souhaitons axer une relation durable avec l’éleveur pour que tout le monde puisse vivre de son travail. »

Le circuit court en Grand Est

Fonctionner en circuit court pour les achats de restauration collective, c’est aussi ce que souhaite le président de la Région Grand Est, Franck Leroy, en accord avec les autres présidents de Région.

« On soutient l’alimentation durable dans la restauration collective avec la charte ADAGE (Alimentation Durable et Autonome en Grand Est). L’idée c’est de faire en sorte d’avoir une part croissante de production locale dans les cantines des lycées et pour ce faire, nous avons besoin d’avoir la maîtrise des achats dans les établissements qui ne dépendent pas de nous, mais de l’État, pour développer l’achat local », explique-t-il.

« On a de la viande dans les Ardennes, les Vosges, la Haute-Marne… et si ce n’est être autonome, on peut au moins augmenter la part de l’alimentation de proximité dans la restauration collective, et ça c’est un puissant soutien à la filière agricole. » Le président de la Région Grand Est fait aussi savoir que la collectivité mène des programmes en collaboration avec la Chambre d’Agriculture.

« Nous soutenons notamment la modernisation des exploitations avec des dispositifs. Actuellement, nous développons avec la Chambre d’Agriculture un nouveau modèle basé sur la polyculture élevage qui permet d’associer à l’activité strictement agricole, la production d’énergie renouvelable, la meilleure connaissance des sols et la meilleure gestion des sols dans le temps. C’est un enjeu extrêmement important, c’est pourquoi tout ceci est associé avec l’utilisation de nouveaux outils numériques. Nous portons ce projet avec la Chambre d’Agriculture avec comme objectif d’avoir 60 démonstrateurs pour emmener, dans cette démarche, 2 000 exploitants. » Une réponse locale à des problématiques bien plus vastes, à l’échelle européenne, voire mondiale, aux inquiétudes de la filière agricole. Mais ne dit-on pas que les petits lits font les grandes rivières ?