Hommes et chiffres

« Un signal de confiance envoyé au monde agricole »

Agriculture. Nommé rapporteur général du projet de Loi d’orientation pour la souveraineté agricole, le député de la Marne Eric Girardin présente les contours du texte qui va faire l’objet de discussions au cours des prochaines semaines.

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Photo d'Eric Girardin
Eric Girardin a été nommé rapporteur général du projet de Loi d’orientation pour la souveraineté agricole qui devrait être adoptée avant l’été 2024. (Crédit : BB)

Eric Girardin, pourquoi une Loi d’orientation agricole maintenant ?

Eric Girardin : Il faut savoir qu’une Loi d’orientation agricole n’a pas vocation à régler des problèmes conjoncturels et ponctuels, mais elle trace en perspective le devenir de l’agriculture à dix ans. La dernière datait de 2014, donc il était temps de dresser de nouvelles perspectives. La crise agricole de début 2024 a ensuite fait valoir un certain nombre de revendications, et le projet de loi sur lequel nous étions en train de travailler s’est vu nourrir de deux thèmes supplémentaires : la souveraineté agricole et alimentaire ainsi que la simplification. Aujourd’hui, on se trouve donc avec quatre titres :

  • définir nos politiques, en faveur du renouvellement des générations au regard de l’objectif de souveraineté alimentaire de la France ;
  • former et innover pour le renouvellement des générations et les transitions de l’agriculture ;
  • favoriser l’installation des agriculteurs ainsi que la transmission des exploitations et améliorer les conditions d’exercice de la profession d’agriculteur ;
  • sécuriser, simplifier et libérer l’exercice des activités agricoles.

Où en êtes-vous dans le calendrier ?

E.G. : Il y a encore du travail, parce que des auditions vont se mettre en place dans les prochaines semaines. L’idée c’est de présenter une trame et ensuite il reviendra aux organisations professionnelles et aux députés de faire vivre ce texte et de l’enrichir dans le respect de la feuille de route.

Qu’est-ce que cette loi devrait changer ?

E.G. : En premier lieu, l’agriculture y sera reconnue comme un intérêt général majeur de la Nation française. Ça veut dire qu’on aura une meilleure prise en compte de l’objectif de souveraineté agricole et alimentaire. Les projets agricoles seront priorisés, les délais seront raccourcis et les décisions prises beaucoup plus rapidement. Cette reconnaissance d’intérêt général majeur aura pour conséquence de renforcer notre agriculture et de la protéger.

La formation et l’orientation figurent en bonne place dans le projet, quelles mesures sont prévues ?

E.G. : Le projet de loi prévoit le lancement d’un programme national d’orientation et de découverte des métiers. Aujourd’hui, un jeune peut faire toute une scolarité en n’ayant jamais vu une ferme de sa vie, ni en ayant été orienté à aller découvrir ce qu’est qu’aujourd’hui l’économie du vivant c’est-à-dire l’agriculture.

Demain, les plus jeunes, les collégiens, les lycéens, pourront découvrir les métiers du vivant, leur réalité et connaître tout simplement, les formations qu’ils préparent. Cela peut vouloir dire qu’il faut rapprocher la formation professionnelle agricole avec les formations générales, de façon à créer des passerelles très fluides pour que les jeunes puissent dès demain embrasser des formations et des carrières agricoles.

Vous avez aussi annoncé la création du réseau France Service Agriculture, qu’est-ce ?

E.G. : Il s’agit du fameux guichet unique que j’avais porté dans mon rapport sur la transmission en 2022, dont l’objectif est de faire en sorte que les futurs installés ou les repreneurs puissent se croiser et que cela facilite l’émergence de projets d’installation et de transmission. C’est capital, parce que les choix que l’on fait au moment de l’installation ont souvent des conséquences des années plus tard, dans le cadre, éventuellement, d’une perspective de transmission.

Ce qu’on cherche au travers de la création de ce réseau France Service Agriculture, c’est de mieux accompagner les projets d’installation au niveau économique, au niveau social, mais aussi au niveau climatique et environnemental. Le but, c’est de régénérer le modèle agricole en favorisant l’installation. Il y a aussi tout un accompagnement à faire en termes d’accélération de la transmission.

Le projet de loi met aussi l’accent sur la simplification...

E.G. : Aujourd’hui 68 mesures de simplification ont déjà été identifiées, notamment dans le cadre des échanges organisés en préfecture ces dernières semaines.

Sans faire un inventaire à la Prévert de toutes ces mesures, l’objectif est avant tout de simplifier l’exercice de l’activité agricole. ça peut devenir un parcours du combattant d’exercer son activité ou de réaliser des projets. Il y a par exemple la question de la révision des sanctions pour atteinte à l’environnement qui sont aujourd’hui du ressort du droit pénal et qui demain, feront l’objet de sanctions administratives.

C’est un signal de confiance envoyé au monde agricole. Parce qu’il est vrai qu’aujourd’hui, on a l’impression - les agriculteurs le ressentent comme ça - qu’un climat de défiance s’est installé vis-à-vis de cette activité. L’agriculture est en proie à de telles mutations qu’il faut plutôt l’accompagner et rendre tout simplement cette activité possible et évolutive.

En quoi consistent les dispositions relatives à l’accélération des contentieux ?

E.G. : Sur les projets de stockage d’eau ou de bâtiments d’élevage, par exemple, il faut savoir que quand on instruit des recours, la durée de validité du dossier court. Et comme parfois on empile les recours, lorsqu’on arrive à la fin de ceux-ci, la validité du dossier est annulée. Les gens sont donc obligés de redéposer un nouveau dossier. On souhaite donc limiter dans le temps l’intégralité des recours à dix mois, accélérer la procédure contentieuse et suspendre la durée de validité des autorisations en cas de contentieux pour éviter la caducité des autorisations du fait des recours. Les recours doivent être observés, mais ne peuvent pas durer ad vitam aeternam. Il faut les limiter dans le temps.

Parmi toutes les revendications des agriculteurs, il y a une demande forte de plan dédié à l’élevage, qu’en est-il ?

E.G. : L’agriculture a un problème endémique de compétitivité. Le sujet est quand même de retrouver la compétitivité en agriculture, de retrouver les moyens de rendre l’activité rentable. Se posent évidemment un certain nombre de sujets sur certaines filières, notamment l’élevage qui est extrêmement complexe. Ce qui peut être jugé paradoxal c’est que la France importe près de 30 % de la viande qu’elle consomme : 20 % de la viande bovine, 50 % de la viande ovine, 45 % du poulet. ça pose forcément question. Aujourd’hui il faut renforcer cette activité, on a tout simplement le moyen de faire mieux vivre nos fermes d’élevage.

Les agriculteurs reprochent aussi aux gouvernements français successifs d’utiliser l’agriculture comme une monnaie d’échange ou une variable d’ajustement dans les traités internationaux. Cela va-t-il changer ?

E.G. : On ne peut pas vivre sans accords internationaux. Ils sont nécessaires, mais il y a un certain nombre de précautions à prendre, notamment dans ce qu’on appelle l’instauration des clauses miroirs, c’est-à-dire que les obligations en termes de normes et de réglementation doivent être identiques. Souvent, le sujet porte sur l’utilisation des produits phytosanitaires, qui sont autorisés ailleurs et supprimés chez-nous depuis d’ailleurs fort longtemps. Le résultat c’est qu’en Europe, avec le Green deal, mais aussi en France, on a un cadencement des normes et des réglementations qui est très lourd et cela débouche sur des restrictions en termes de capacité de production.

Cela signifie qu’on que, de facto, on laisse une place plus forte à l’importation qui souvent est moins-disante en termes de normes, particulièrement environnementales par rapport aux produits européens ou français. à la faveur des mouvements qui ont eu lieu dans différents pays d’Europe, la Commission européenne a largement soulagé son action, notamment en matière de durcissement des normes environnementales. Non pas qu’on baisse la garde, l’objectif c’est tout simplement de rendre possible la production en Europe.

Pourquoi a-t-on laissé faire ces agissements si longtemps ?

E.G. : On a laissé faire ça parce qu’il y a eu une logique du moins cher qui s’est installée. On a cherché de la rentabilité sur le dos des producteurs à qui, dans le même temps, on imposait des normes importantes. Et paradoxalement, on a laissé entrer chez nous des produits de moins bonne qualité. Il faut complètement inverser cette tendance. à la lumière des crises que nous avons vécu, le covid et la guerre en Ukraine, nous avons tous compris qu’il valait mieux produire chez-nous parce que ça nous laissait une certaine forme de sécurité et de souveraineté alimentaire.

La Commission européenne a commencé à agir en abandonnant ses ambitions de réduction de 50% des produits phytosanitaires d’ici 2030...

E.G. : En Champagne, si on avait dû appliquer cette réglementation, on pouvait craindre la suppression de 10 000 hectares (sur 34 000 ha d’appellation, NDLR).

Nous avons en France la chance d’avoir un outil qu’on maîtrise, des terres fertiles, avec des gens qui savent faire, surtout avec une recherche qui évolue. On le voit très bien en Champagne, avec notamment la génération de nouveaux cépages tels que le Voltis qui va permettre d’éviter d’utiliser des produits phytosanitaires pour lutter contre le mildiou et l’oïdium.

Il faut faire confiance à la recherche, à l’avenir et surtout à celles et ceux qui travaillent la terre, parce que les agriculteurs et les agricultrices ce sont des bâtisseurs du vivant. J’ai l’habitude de dire que c’est celui qui dispose de la maîtrise la plus avérée d’une activité qui doit piloter. Ceux qui connaissent le mieux ce qu’ils font au quotidien, ce sont quand même les agriculteurs et les agricultrices. Laissons leur la main et fixons des caps ensemble.