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Novacel, une vision d’avenir pour le leader européen des verres optiques

Industrie. L’entreprise Novacel fête cette année ses 30 ans d’existence. Créée en 1994, à Château-Thierry avec une dizaine de salariés seulement, elle est aujourd’hui devenue une société leader en Europe dans la fabrication de verres optiques, au sein de laquelle travaillent désormais plus de 650 personnes.

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  • Photo de la fabrication d'un verre
    En moyenne, un verre peut être produit en 24 heures à partir du moment de la commande par l’opticien. (Crédit : ND)
  • Photo de la fabrication de verres
    (Crédit : ND)
  • Photo d'un verre optique
    (Crédit : ND)
  • Photo d'une des étapes de la fabrication
    (Crédit : ND)

C’est ce que l’on pourrait appeler une success story à la française, bien que son Pdg Roger Düning, bientôt 82 ans, soit Allemand… Tout part d’un entrepôt dans un ancien magasin de bricolage de Château-Thierry (Aisne), avec trois machines et une dizaine de salariés, au début des années 90, avec une philosophie bien précise : « Du travail, de la bonne volonté et une solidité financière, sans prêt ni subvention pour éviter l’endettement. Tout ce que l’on gagne est réinjecté dans l’entreprise », insiste Roger Düning, avec sa pointe d’accent germanique. La probité et une vision à long terme sont sa ligne directrice. Ici, le patron ne « se verse pas de dividendes et ne claque pas tout son argent pour son confort personnel », rappelle-t-il à plusieurs reprises, comme pour expliquer aux visiteurs de l’entreprise ébahis, le succès de cette société qui affiche aujourd’hui un chiffre d’affaires de 164 millions d’euros en 2023.

« Modèle de capitalisme rhénan, enraciné, territorial »

Car pour fêter ses 30 ans, Novacel, doublement certifiée Origine France Garantie et Service France Garanti, avait invité Arnaud Montebourg, ancien ministre de l’Économie et du Redressement productif (2012-2014) et membre du Conseil d’Administration Origine France Garantie, à visiter les lieux. « Il y a deux manières d’envisager le capitalisme », déclare le militant du Made in France, dans une tirade dont lui seul a le secret. « Le capitalisme qui se base sur la financiarisation de l’économie et le capitalisme qui réinvestit les bénéfices dans l’outil de travail et qui considère le salarié, non pas comme une variable d’ajustement, mais comme une ressource. C’est un modèle de capitalisme rhénan, enraciné, territorial. Malheureusement, depuis des dizaines d’années, nous avons fait le choix du capitalisme anglo-saxon où le système financier a pris possession de l’économie réelle du pays pour la découper en tranches et la laisser partir ailleurs. Nous comprenons ainsi pourquoi nous avons perdu notre industrie quand l’Allemagne ou l’Italie l’ont conservée. 19% de PIB industriel en Italie, 23% en Allemagne et seulement 10% en France (…) Pour remettre la balance commerciale à l’équilibre, combien de temps faudra-t-il pour relocaliser 50 milliards d’euros de chiffre d’affaires ? Il faut créer 350 000 emplois industriels et en emploi net cela fait 1 million d’emplois nouveaux. C’est donc 10 usines par département par an, car il en faut 1 000 sur 10 ans. Et investir 30 milliards par an. »

Voilà pour le cours d’économie version Montebourg. Or, si Novacel, labellisé Origine France Garantie depuis 2015, fait figure « d’exemple », concurrencer l’Asie et ses coûts de production est un défi quotidien. « Nous avons une volonté farouche de fabriquer en France et cela résonne de plus en plus au niveau du consommateur », estime Jenkiz Saillet, Directeur général. « Nous sommes le plus gros fabricant de verres ophtalmiques européen et nous fabriquons 100% de nos verres en France, avec un coût en sortie d’usine qui varie entre 10 et 500 € le verre. En Thaïlande, le verre coûte cinq fois moins cher à produire, huit fois, il y a encore quelques années… C’est pourquoi nous avons fortement automatisé nos lignes de production, avec une valeur ajoutée qui se fait beaucoup au niveau du service. »

Aider ceux qui fabriquent en France est incontournable pour le Directeur général comme pour l’ancien ministre. « En Inde, il y a quelques années, les entreprises qui exportaient plus de 50% de leur production voyaient 80% de leurs machines payées par l’État, c’est un exemple parmi d’autre », relève Jenkiz Saillet. « Ceux qui ne produisent pas en France, et qui font faire des dizaines de milliers de kilomètres en avion à un objet qui pèsent 10 grammes, on pourrait aussi leur mettre une taxe carbone », fait valoir pour sa part Arnaud Montebourg.

9 millions de verres produits par an

L’entreprise, dont Essilor est entré à hauteur de 75% dans le capital en 2007, vend ses verres à 92% en France et le reste à l’export, notamment en Allemagne, en Belgique et au Canada, avec qui l’entreprise a un lien particulier.

« Sur les 14 000 opticiens nationaux (dont la moitié sous enseigne), nous en fournissons 5 000 », annonce le directeur général. Après le cours d’économie, le cours de maths : Ainsi, sur 45 millions de verres produits par an nationalement, Novacel en produit 9 millions soit 30 000 par jour. « Nous fonctionnons en 3 x 8 pour la production et six jours sur sept pour la partie call center où travaillent 40 personnes. » Ces dernières sont le premier contact avec l’opticien qui va passer sa commande, bien qu’il puisse l’effectuer aussi par internet. Mais le côté humain reste incontournable pour Novacel qui affiche fièrement un taux de réponse d’appels de 99% en moins de trois sonneries.

« Nous produisons à façon, c’est-à-dire que nous fonctionnons essentiellement sur commande, avec très peu de stock, chaque type de verres commandés étant très spécifique. Nous tenons beaucoup à ce contact humain, derrière le téléphone, en direct. C’est ce qui apporte notamment notre valeur ajoutée. » Côté production, le fait de produire pour un marché quasi-exclusivement français, a ses avantages, notamment en termes de délais.

  • Photo d'Arnaud Montebourg et Roger Düning
    (Crédit : ND)
  • Photo de la présentation des verres optiques
    (Crédit : ND)

« Pour le verre le plus complexe, ce sera 5 jours ouvré entre la commande et la livraison. Pour un verre plus simple, il peut être produit en 24 heures, soit 92% de nos commandes », indique Roger Düning, dont la passion reste intacte. Il faut l’écouter parler des verres teintés dont l’échéancier est personnalisable presque à l’infini et raconter comment il a commencé les premiers tests de teinture, dans son « premier entrepôt, avec des fours et des casseroles ». Petite anecdote, pendant de nombreuses années, la teinte la plus vendue était celle « empruntée » à un fabricant chinois sur un salon.

Aujourd’hui, Novacel peut teinter le verre à la demande. « Nous avons réussi à rendre rentable le fabriqué français, en investissant dans des machines complexes. Pour les cellules de fabrication, chaque machine coûte 1 million d’euros. Nous en avons six. Cette automatisation et modernisation des tâches a été la clé pour progresser », précise Jenkiz Saillet. Car la fabrication d’un verre ophtalmique n’a rien de simple : « entre un semi-fini (matière première qui sert à fabriquer les verres) et le verre final, il y a des dizaines de matières organiques qui interviennent lors des 50 à 60 étapes », dont celles du surfaçage du verre, du nettoyage et de toute la partie chimique qui vient le traiter (anti UV, anti-reflet, lumière bleue, etc.). « Il y a une cinquantaine d’années, sont arrivées les matières organiques, il en existe sept différentes. Plus l’indice est haut, plus le verre doit être fort. Mais plus l’indice est fort, moins la qualité optique est bonne. C’est-à-dire que l’on doit trouver le juste milieu entre l’épaisseur du verre et sa qualité optique. »

Le verre électronique, le verre de demain

Certains traitements utilisent des brevets développés en interne avec la partie R&D qui, en ce moment, travaille sur le verre de demain, « un verre électronique que nous lançons dans quelques mois. C’est un verre adaptatif avec une pastille remplie de cristaux liquides qui est alimentée électriquement et qui change la correction du verre. Cette pastille créée une vision de près et de loin à la demande. La question aujourd’hui, c’est qui les fabriquera ? Les professionnels français de l’optique ou les GAFAM. » Arnaud Montebourg a bien une petite idée, lui qui estime qu’il est « possible en France de concurrencer l’Asie, ses coûts de production, ses méthodes agressives et d’investir dans les territoires, de s’y déployer, de se développer et d’embaucher tout en construisant des outils de production à forte valeur technologique et de les faire prospérer ».